mari. 
--Eh bien, la maison de banque de Villerey est une bonne maison, dit M. 
de Puyrassieux. 
--La maison de Villerey a perdu dix-sept millions à la bourse dans la 
quinzaine dernière, dit Fanny; si l'un de vous a des fonds dans cette 
maison, je lui conseille de mettre un crêpe à son portefeuille: M. de 
Villerey est en fuite. 
--Il emporte vos regrets, n'est-il pas vrai, ma chère? fit M. de 
Puyrassieux avec un sourire qui était une allusion. 
--Il m'emporte aussi soixante-quinze mille francs, c'est ce qui me rend 
un peu maussade ce soir; mais c'est une leçon, cela m'apprendra à faire
des économies, ajouta la jeune femme. 
En ce moment un garçon du restaurant vint avertir Tristan qu'un 
monsieur le faisait demander. 
--C'est Ulric sans doute, dit Tristan; et, se retournant vers Fanny, il lui 
dit tout bas à l'oreille: 
--Ma chère enfant, vous vous êtes trompée, mon ami Ulric n'est pas 
ruiné. 
--Eh bien, qu'est-ce que cela me fait, à moi? dit Fanny. 
--Remettez votre masque un instant, continua Tristan. 
--Mais... pourquoi? demanda la jeune femme, en rattachant néanmoins 
son loup de velours. 
--Qui sait? dit Tristan, peut-être pour regagner les soixante-quinze mille 
francs que vous avez perdus. 
 
II 
Trois jours auparavant Ulric de Rouvres était à Plymouth, et, sous le 
nom d'Arthur Sydney, s'apprêtait à partir pour l'Inde anglaise, où il 
voulait aller faire la guerre sous les drapeaux de Sa Majesté britannique. 
Au moment de s'embarquer il reçut de France une lettre dont la lecture 
changea soudainement ses projets; car il alla sur-le-champ faire une 
visite à l'amirauté, et il en sortit pour prendre ses passeports pour la 
France, où il était arrivé aussi promptement que si le paquebot et la 
chaise de poste qui l'avaient amené eussent eu des ailes. 
Voici quel était le contenu de la lettre qui avait motivé cette arrivée si 
prompte: 
«Mon cher Ulric,
«Vous savez si je suis votre ami. Je crois vous en avoir donné des 
preuves en maintes circonstances. Je vous ai vu, il y a un an, brisé par 
le coup de tonnerre d'un grand malheur. C'était votre première passion 
sérieuse. Vous avez faibli sous les coups de ces violents ouragans qui 
éclatent au début de la jeunesse, et vous avez roulé au fond de cet 
abîme où le désespoir vertigineux a plongé votre esprit dans de noirs 
tourbillons. Selon l'usage, vous avez voulu mourir, et pour accomplir ce 
projet vous êtes allé en Angleterre, la patrie du spleen. Là, vous avez 
mis fin à vos jours, et vous êtes maintenant convenablement enterré 
dans un cimetière du comté de Sussex. Selon vos voeux, on a mis sur 
votre tombe un saule en larmes, et on a planté de ces petites fleurs 
bleues qui étoilent les rives des fleuves allemands. Vous êtes on ne peut 
plus mort, et vos amis ne vous attendent plus qu'au jugement dernier. 
Ayez donc l'obligeance de ne point reparaître avant l'époque où les 
fanfares de l'Apocalypse convoqueront le monde à une résurrection 
officielle. Vous pouvez, du reste, dormir en paix. J'ai scrupuleusement 
accompli les ordres divers que vous avez bien voulu me donner dans 
votre testament. Je dois, pour votre satisfaction, vous déclarer que vous 
avez été généralement regretté. Votre décès a fait couler des larmes des 
plus beaux yeux du monde. Vous étiez certainement le meilleur valseur 
qui ait jamais glissé sur un parquet ciré, au milieu du tourbillon 
circulaire que dirige l'archet de Strauss. En apprenant votre décès, ce 
grand artiste a ressenti un chagrin profond; et au dernier bal qui a eu 
lieu au Jardin d'hiver, il avait mis, pour témoigner sa douleur, un crêpe 
à son bâton de chef d'orchestre. 
«Ah! mon ami, si vous n'aviez pas eu d'aussi bonnes raisons, combien 
vous auriez eu tort de mourir! Si vous ne vous étiez pas tant pressé, 
peut-être seriez-vous resté parmi nous; car je sais plusieurs mains 
blanches qui se fussent tendues pour vous retenir dans la vie. Enfin, 
comme on dit, ce qui est fait est fait: vous êtes mort, et vous avez eu 
l'agrément d'assister à votre convoi, car je présume que vous vous étiez 
adressé une lettre d'invitation; vous avez répandu des larmes sur votre 
tombe, et vous vous êtes regretté sincèrement. À ce propos, mon cher 
ami, puisque vous êtes un citoyen de l'autre monde, ne pourriez-vous 
pas me donner quelques détails sur la façon dont on s'y comporte? La 
mort est-elle une personne aimable, et fait-il bon à vivre sous son règne?
Dans quelle zone souterraine est situé son royaume? Y a-t-il quatre 
saisons et diffèrent-elles des nôtres? Quels sont, je vous prie, les 
agréments dont jouissent les trépassés? Quel est le mode de 
gouvernement? Quel est le code des lois d'outre-vie? Vous qui devez 
être, à l'heure qu'il est, instruit de toutes ces choses,    
    
		
	
	
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