sur le champ du pauvre et on a battu 
monnaie de gloire avec son humble trésor. Il est telle ballade écrite au 
coin de la borne et sous la gouttière, un jour de froidure, par le rapsode 
bohème; telles stances amoureuses improvisées dans le taudis où la 
belle qui fut haultmière détachait à tout venant sa ceinture dorée, qui
aujourd'hui, métamorphosées en galanteries de beau lieu flairant le 
musc et l'ambre, figurent dans l'album armorié d'une Chloris 
aristocratique. 
Mais voici le grand siècle de la renaissance qui s'ouvre. Michel-Ange 
gravit les échafauds de la Sixtine et regarde d'un air soucieux le jeune 
Raphaël qui monte l'escalier du Vatican, portant sous son bras les 
cartons des loges. Benvenuto médite son Persée, Ghiberti cisèle les 
portes du baptistère en même temps que Donatello dresse ses marbres 
sur les ponts de l'Arno; et pendant que la cité des Médicis lutte de 
chefs-d'oeuvre avec la ville de Léon X et de Jules II, Titien et Véronèse 
illustrent la cité des doges; Saint-Marc lutte avec Saint-Pierre. 
Cette fièvre de génie, qui vient d'éclater tout à coup dans la péninsule 
italienne avec une violence épidémique, répand sa glorieuse contagion 
dans toute l'Europe. L'art, rival de Dieu, marche l'égal des rois. 
Charles-Quint s'incline pour ramasser le pinceau du Titien, et François 
Ier fait antichambre dans l'imprimerie où Étienne Dolet corrige 
peut-être les épreuves de Pantagruel. 
Au milieu de cette résurrection de l'intelligence, la Bohème continue 
comme par le passé à chercher, suivant l'expression de Balzac, la pâte 
et la niche. Clément Marot, devenu le familier des antichambres du 
Louvre, devient, avant même qu'elle eût été favorite d'un roi, le favori 
de cette belle Diane dont le sourire illumina trois règnes. Du boudoir de 
Diane De Poitiers, la muse infidèle du poëte passe dans celui de 
Marguerite De Valois, faveur dangereuse que Marot paya par la prison. 
Presque à la même époque, un autre bohème, dont l'enfance avait été, 
sur la plage de Sorrente, caressée par les baisers d'une muse épique, Le 
Tasse, entrait à la cour du duc de Ferrare comme Marot à celle de 
François Ier; mais, moins heureux que l'amant de Diane et de 
Marguerite, l'auteur de la Jérusalem payait de sa raison et de la perte de 
son génie l'audace de son amour pour une fille de la maison d'Este. 
Les guerres religieuses et les orages politiques qui signalèrent en 
France l'arrivée des Médicis n'arrêtent point l'essor de l'art. Au moment 
où une balle atteignait, sur les échafauds des Innocents, Jean Goujon, 
qui venait de retrouver le ciseau païen de Phidias, Ronsard retrouvait la
lyre de Pindare, et fondait, aidé de sa pléiade, la grande école lyrique 
française. À cette école du renouveau succéda la réaction de Malherbe 
et des siens, qui chassèrent de la langue toutes les grâces exotiques que 
leurs prédécesseurs avaient essayé de nationaliser sur le pernasse. Ce 
fut un bohème, Mathurin Régnier, qui défendit un des derniers les 
boulevards de la poésie lyrique attaquée par la phalange des rhéteurs et 
des grammairiens qui déclaraient Rabelais barbare et Montaigne obscur. 
Ce fut ce même Mathurin Régnier le cynique qui, rajoutant des noeuds 
au fouet satirique d'Horace, s'écriait indigné en voyant les moeurs de 
son époque: 
L'honneur est un vieux saint que l'on ne chôme plus. 
Au dix-septième siècle le dénombrement de la Bohème contient une 
partie des noms de la littérature de Louis XIII et de Louis XIV; elle 
compte des membres parmi les beaux esprits de l'hôtel Rambouillet, où 
elle collabore à la Guirlande de Julie; elle a ses entrées au palais 
Cardinal, où elle collabore à la tragédie de Marianne avec le 
poëte-ministre, qui fut le Robespierre de la monarchie. Elle jonche de 
madrigaux la ruelle de Marion Delorme et courtise Ninon sous les 
arbres de la Place Royale; elle déjeune le matin à la taverne des 
Goinfres ou de l'Épée-Royale, et soupe le soir à la table du duc de 
Joyeuse; elle se bat en duel sous les réverbères pour le sonnet d'Uranie 
contre le sonnet de Job. La Bohème fait l'amour, la guerre et même de 
la diplomatie; et sur ses vieux jours, lasse des aventures, elle met en 
poëme le vieux et le nouveau testament, émarge sur toutes les feuilles 
de bénéfices, et, bien nourrie de grasses prébendes, va s'asseoir sur un 
siége épiscopal ou sur un fauteuil de l'académie, fondée par l'un des 
siens. 
Ce fut dans la transition du seizième au dix-huitième siècle que 
parurent ces deux fiers génies que chacune des nations où ils vécurent 
opposent l'un à l'autre dans leurs luttes de rivalité littéraire Molière et 
Shakspeare: ces illustres bohémiens dont la destinée offre tant de 
rapprochements. 
Les noms les plus célèbres de la littérature du dix-huitième siècle se 
retrouvent aussi dans les archives de la Bohème, qui, parmi les glorieux
de cette époque, peut    
    
		
	
	
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