le premier soir ce fut Fanny 
Legrand qui s’installa près de son lit, ne le quittant de dix jours, le 
soignant sans fatigue, sans peur ni dégoût, adroite comme une soeur de 
garde, avec des câlineries tendres, qui parfois, aux heures de fièvre, le 
reportaient à une grosse maladie d’enfance, lui faisaient appeler sa tante 
Divonne, dire «merci, Divonne», quand il sentait les mains de Fanny 
sur la moiteur de son front. 
-- Ce n’est pas Divonne... c’est moi... je te veille... 
Elle le sauvait des soins mercenaires, des feux éteints maladroitement, 
des tisanes fabriquées dans une loge de concierge; et Jean n’en revenait 
pas de ce qu’il y avait d’alerte, d’ingénieux, d’expéditif, dans ces mains 
d’indolence et de volupté. La nuit elle dormait deux heures sur le divan, 
-- un divan d’hôtel du Quartier, moelleux comme la planche d’un poste 
de police. 
-- Mais, ma pauvre Fanny, tu ne vas donc jamais chez toi?... lui 
demandait-il un jour... Je suis mieux à présent... Il faudrait rassurer 
Machaume. 
Elle se mit à rire. Beau temps qu’elle courait, Machaume, et toute la 
maison avec. On avait tout vendu, les meubles, la défroque, même la 
literie. Il lui restait la robe qu’elle avait sur le dos et un peu de linge fin, 
sauvé par sa bonne... Maintenant s’il la renvoyait, elle serait à la rue. 
III 
«Cette fois, je crois que j’ai trouvé... Rue d’Amsterdam, vis-à- vis la 
gare... Trois pièces, et un grand balcon... Si tu veux, nous irons voir, 
après ton ministère... c’est haut, cinq étages... mais tu me porteras.
C’était si bon, tu te rappelles...» Et tout amusée de ce souvenir, elle se 
frôlait, se roulait dans son cou, cherchait l’ancienne place, sa place. 
À deux, dans leur garni d’hôtel, avec les moeurs du quartier, ces 
traîneries par l’escalier de filles en filets et en savates, ces cloisons de 
papier derrière lesquelles grouillaient d’autres ménages, cette 
promiscuité des clés, des bougeoirs, des bottines, la vie devenait 
intolérable. Non pas à elle certes; avec Jean, le toit, la cave, même 
l’égout, tout lui était bon pour nicher. Mais la délicatesse de l’amant 
s’effarouchait de certains contacts, auxquels, garçon, il ne pensait guère. 
Ces ménages d’une nuit le gênaient, déshonoraient le sien, lui causaient 
un peu la tristesse et le dégoût de la cage des singes au Jardin des 
Plantes, grimaçant tous les gestes et les expressions de l’amour humain. 
Le restaurant aussi l’ennuyait, ce repas qu’il fallait aller chercher deux 
fois par jour au boulevard Saint-Michel, dans une grande salle 
encombrée d’étudiants, d’élèves des Beaux-Arts, peintres, architectes, 
qui sans le connaître avaient l’habitude de sa figure, depuis un an qu’il 
mangeait là. 
Il rougissait -- en poussant la porte -- de tous ces yeux tournés vers 
Fanny, entrait avec la gêne agressive des tout jeunes gens qui 
accompagnent une femme; et il craignait aussi la rencontre d’un de ses 
chefs du ministère ou de quelqu’un de son pays. Puis la question 
d’économie. 
-- Que c’est cher!... disait-elle chaque fois, emportant et commentant la 
petite note du dîner... Si nous étions chez nous, j’aurais fait marcher la 
maison trois jours pour ce prix-là. 
-- Eh bien, qui nous empêche?... 
Et l’on se mit en quête d’une installation. 
C’est le piège. Tous y sont pris, les meilleurs, les plus honnêtes, par cet 
instinct de propreté, ce goût du «home» qu’ont mis en eux l’éducation 
familiale et la tiédeur du foyer. 
L’appartement de la rue d’Amsterdam fut loué tout de suite et trouvé 
charmant, malgré ses pièces en enfilade qui ouvraient, -- la cuisine et la 
salle sur une arrière-cour moisie où montaient d’une taverne anglaise 
des odeurs de rinçure et de chlore, -- la chambre sur la rue en pente et 
bruyante, secouée jour et nuit aux cahots des fourgons, camions, fiacres, 
omnibus, aux sifflets d’arrivée et de départ, tout le vacarme de la gare 
de l’Ouest développant en face ses toitures en vitrage couleur d’eau
sale. L’avantage, c’était de savoir le train à sa porte, et Saint-cloud, 
Ville-d’Avray, Saint-Germain, les vertes stations des bords de la Seine 
presque sous leur terrasse. Car ils avaient une terrasse, large et 
commode, qui gardait de la munificence des anciens locataires une 
tente de zinc peinte en coutil rayé, ruisselante et triste sous le 
crépitement des pluies d’hiver, mais où l’on serait très bien l’été pour 
dîner au bon air, comme dans un chalet de montagne. 
On s’occupa des meubles. Jean ayant fait part chez lui de son projet 
d’installation, tante Divonne, qui était comme l’intendante de la maison, 
envoya l’argent nécessaire; et sa lettre annonçait en même temps le 
prochain arrivage d’une armoire, d’une commode, et d’un grand 
fauteuil canné, tirés de la «Chambre du vent» à l’intention du Parisien. 
Cette chambre, qu’il revoyait au fond d’un couloir de Castelet, toujours 
inhabitée, les volets clos attachés    
    
		
	
	
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