lui donner. 
Uncle Prudent fit résonner la trompe à vapeur qui lui servait de 
sonnette présidentielle, car même la cloche du Kremlin ne lui aurait pas 
suffi!... Mais le tumulte ne cessa de s'accroître. Alors le président « se 
découvrit », et un demi-silence fut obtenu, grâce à ce moyen extrême. 
« Une communication! dit Uncle Prudent, après avoir puisé une énorme 
prise dans la tabatière qui ne le quittait jamais. 
- Parlez! parlez! répondirent quatre-vingt-dix-neuf voix, - par hasard, 
d'accord sur ce point. 
- Un étranger, mes chers collègues, demande à être introduit dans la 
salle de nos séances. 
- Jamais! répliquèrent toutes les voix. 
- Il désire nous prouver, paraît-il, reprit Uncle Prudent, que de croire à 
la direction des ballons, c'est croire à la plus absurde des utopies. » 
Un grognement accueillit cette déclaration. 
« Qu'il entre qu'il entre! 
- Comment se nomme ce singulier personnage? demanda le secrétaire 
Phil Evans. 
- Robur, répondit Uncle Prudent.
- Robur!... Robur!... Robur! hurla toute l'assemblée. 
Et, si l'accord s'était si rapidement fait sur ce nom singulier, c'est que le 
Weldon-Institute espérait bien décharger sur celui qui le portait le 
trop-plein de son exaspération. 
La tempête s'était donc un instant apaisée, - en apparence du moins. 
D'ailleurs comment une tempête pourrait-elle se calmer chez un peuple 
qui en expédie deux ou trois par mois à destination de l'Europe, sous 
forme de bourrasques? 
III 
Dans lequel un nouveau personnage n'a pas besoin d'être presenté, car il 
se presente lui-même. 
Citoyens des Etats-Unis d'Amérique, je me nomme Robur. Je suis 
digne de ce nom. J'ai quarante ans, bien que je paraisse n'en pas avoir 
trente, une constitution de fer, une santé à toute épreuve, une 
remarquable force musculaire, un estomac qui passerait pour excellent 
même dans le monde des autruches. Voilà pour le physique. » 
On l'écoutait. Oui! Les bruyants furent tout d'abord interloqués par 
l'inattendu de ce discours pro facie suâ. Etait-ce un fou ou un 
mystificateur, ce personnage? Quoi qu'il en soit, il imposait et 
s'imposait. Plus un souffle au milieu de cette assemblée, dans laquelle 
se déchaînait naguère l'ouragan. Le calme après la houle. 
Au surplus, Robur paraissait bien être l'homme qu'il disait être. Une 
taille moyenne, avec une carrure géométrique, - ce que serait un trapèze 
régulier, dont le plus grand des côtés parallèles était formé par la ligue 
des épaules. Sur cette ligne, rattachée par un cou robuste, une énorme 
tête sphéroïdale. A quelle tête d'animal eût-elle ressemblé pour donner 
raison aux théories de l'Analogie passionnelle? A celle d'un taureau, 
mais un taureau à face intelligente. Des yeux que la moindre contrariété 
devait porter à l'incandescence, et, au-dessus, une contraction 
permanente du muscle sourcilier, signe d'extrême énergie. Des cheveux 
courts, un peu crépus, à reflet métallique, comme eût été un toupet en
paille de fer. Large poitrine qui s'élevait ou s'abaissait avec des 
mouvements de soufflet de forge. Des bras, des mains, des jambes, des 
pieds dignes du tronc. 
Pas de moustaches, pas de favoris, une large barbiche de marin, à 
l'américaine, - ce qui laissait voir les attaches de la mâchoire, dont les 
muscles masséters devaient posséder une puissance formidable. On a 
calculé - que ne calcule-t-on pas? - que la pression d'une mâchoire de 
crocodile ordinaire peut atteindre quatre cents atmosphères, quand celle 
du chien de chasse de grande taille n'en développe que cent. On a 
même déduit cette curieuse formule : si un kilogramme de chien 
produit huit kilogrammes de force massétérienne, un kilogramme de 
crocodile en produit douze. Eh bien, un kilogramme dudit Robur devait 
en produire au moins dix. Il était donc entre le chien et le crocodile. 
De quel pays venait ce remarquable type? C'eût été difficile à dire. En 
tout cas, il s'exprimait couramment en anglais, sans cet accent un peu 
traînard qui distingue les Yankees de la Nouvelle-Angleterre. 
Il continua de la sorte : 
« Voici présentement pour le moral, honorables citoyens. Vous voyez 
devant vous un ingénieur, dont le moral n'est point inférieur au 
physique. Je n'ai peur de rien ni de personne. J'ai une force de volonté 
qui n'a jamais cédé devant une autre. quand je me suis fixé un but, 
l'Amérique tout entière, le monde tout entier, se coaliseraient en vain 
pour m'empêcher de l'atteindre. quand j'ai une idée, j'entends qu'on la 
partage et ne supporte pas la contradiction. J'insiste sur ces détails, 
honorables citoyens, parce qu'il faut que vous me connaissiez à fond. 
Peut-être trouverez-vous que je parle trop de moi? Peu importe! Et 
maintenant, réfléchissez avant de m'interrompre, car je suis venu pour 
vous dire des choses qui n'auront peut-être pas le don de vous plaire. » 
Un bruit de ressac commença à se propager le long des premiers bancs 
du hall, - signe que la mer ne tarderait pas à devenir houleuse. 
« Parlez, honorable    
    
		
	
	
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