rochers vers la mer. C'est l'image des dégradations que tu as 
permises au temps d'exercer sur les choses du monde les plus solides. 
Ton soleil l'aurait-il autrement éclairée? Dieu! si tu anéantis cet 
ouvrage de l'art, on dira que tu es un Dieu jaloux. Prends en pitié les 
malheureux épars sur cette rive. Ne te suffit-il pas de leur avoir montré 
le fond des abîmes? Ne les as-tu sauvés que pour les perdre? Écoute la 
prière de celui-ci qui te remercie. Aide les efforts de celui-là qui 
rassemble les tristes restes de sa fortune. Ferme l'oreille aux 
imprécations de ce furieux: hélas! il se promettait des retours si 
avantageux; il avait médité le repos et la retraite; il en était à son 
dernier voyage. Cent fois dans la route, il avait calculé par ses doigts le 
fond de sa fortune; il en avait arrangé l'emploi: et voilà toutes ses 
espérances trompées; peine lui reste-t-il de quoi couvrir ses membres 
nus. Sois touché de la tendresse de ces deux époux. Vois la terreur que 
tu as inspirée à cette femme. Elle te rend grâce du mal que tu ne lui as 
pas fait. Cependant, son enfant, trop jeune pour savoir à quel péril tu 
l'avais exposé, lui, son père et sa mère, s'occupe du fidèle compagnon 
de son voyage; il rattache le collier de son chien. Fais grâce à l'innocent. 
Vois cette mère fraîchement échappée des eaux avec son époux; ce 
n'est pas pour elle qu'elle a tremblé, c'est pour son enfant. Vois comme 
elle le serre contre son sein; vois comme elle le baise. O Dieu! 
reconnais les eaux que tu as créées. Reconnais-les, et lorsque ton 
souffle les agite, et lorsque ta main les apaise. Reconnais les sombres
nuages que tu avais rassemblés, et qu'il t'a plu de dissiper. Déjà ils se 
séparent, ils s'éloignent, déjà la lueur de l'astre du jour renaît sur la face 
des eaux; je présage le calme à cet horizon rougeâtre. Qu'il est loin, cet 
horizon! il ne confine point avec la mer. Le ciel descend au- dessous et 
semble tourner autour du globe. Achève d'éclaircir ce ciel; achève de 
rendre à la mer sa tranquillité. Permets à ces matelots de remettre à flot 
leur navire échoué; seconde leur travail; donne-leur des forces, et 
laisse-moi mon tableau. Laisse- le-moi, comme la verge dont tu 
châtieras l'homme vain. Déjà ce n'est plus moi qu'on visite, qu'on vient 
entendre: c'est Vernet qu'on vient admirer chez moi. Le peintre a 
humilié le philosophe. 
O mon ami, le beau Vernet que je possède! Le sujet est la fin d'une 
tempête sans catastrophe fâcheuse. Les flots sont encore agités; le ciel 
couvert de nuages; les matelots s'occupent sur leur navire échoué; les 
habitants accourent des montagnes voisines. 
Que cet artiste a d'esprit! Il ne lui a fallu qu'un petit nombre de figures 
principales pour rendre toutes les circonstances de l'instant qu'il a choisi. 
Comme toute cette scène est vraie! Comme tout est peint avec légèreté, 
facilité et vigueur! Je veux garder ce témoignage de son amitié. Je veux 
que mon gendre le transmette ses enfants, ses enfants aux leurs, et 
ceux-ci aux enfants qui naîtront d'eux. 
Si vous voyiez le bel ensemble de ce morceau; comme tout y est 
harmonieux; comme les effets s'y enchaînent; comme tout se fait valoir 
sans effort et sans apprêt; comme ces montagnes de la droite sont 
vaporeuses; comme ces rochers et les édifices surimposés sont beaux; 
comme cet arbre est pittoresque; comme cette terrasse est éclairée; 
comme la lumière s'y dégrade; comme ces figures sont disposées, 
vraies, agissantes, naturelles, vivantes; comme elles intéressent; la force 
dont elles sont peintes; la pureté dont elles sont dessinées; comme elles 
se détachent du fond; l'énorme étendue de cet espace; la vérité de ces 
eaux; ces nuées, ce ciel, cet horizon! Ici le fond est privé de lumière et 
le devant clair, au contraire du technique commun. Venez voir mon 
Vernet; mais ne me l'ôtez pas. 
Avec le temps, les dettes s'acquitteront; le remords s'apaisera; et j'aurai
une jouissance pure. Ne craignez pas que la fureur d'entasser des belles 
choses me prenne. Les amis que j'avais, je les ai; et le nombre n'en est 
pas augmenté. J'ai Laïs, mais Laïs ne m'a pas. Heureux entre ses bras, 
je suis prêt à la céder à celui que j'aimerai et qu'elle rendrait plus 
heureux que moi. Et pour vous dire mon secret à l'oreille, cette Laïs, 
qui se vend si cher aux autres, ne m'a rien coûté. 
 
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chambre by Denis Diderot 
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SUR MA VIEILLE ROBE *** 
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