Nil coule au milieu. Jamais de pluie. Chaque 
été, le flot débordant étend sur le sol l'eau du fleuve et le limon qu'elle 
apporte. Où s'arrête l'inondation commence, de chaque côté, l'aride 
désolation du désert. Le labeur du fellah fait fructifier admirablement 
ce présent annuel du vieux fleuve. Dès que l'eau commence à se retirer, 
les champs, du matin au soir, sont peuplés de travailleurs, qui pataugent, 
jambes nues, même au plus chaud des jours déjà brûlants, dans la boue 
limoneuse. Dans la Haute Égypte, quand nous verrons de près leurs 
villages, leur saleté, leur vermine et les beaux enfants dévorés par les 
mouches sur le seuil des masures, nous songerons aux paysans de 
l'Ardenne ou de la Lorraine, tels que les ont faits douze siècles de 
christianisme, race fière, heureuse et libre sous un ciel souvent hostile 
et sur un sol ingrat ... 
C'est le jeudi 12 décembre qu'on nous mena voir la nouvelle Héliopolis. 
De l'Ezbekieh, nous avons mis, en autobus, une vingtaine de minutes. 
Le chemin de fer électrique dévorera la route en un quart d'heure. 
 
LA NOUVELLE HÉLIOPOLIS
La nouvelle ville s'élèvera à l'est de la capitale de l'Égypte. Les deux 
mille cinq cents hectares que les premières constructions doivent 
couvrir ont été découpés dans le désert arabique, dont les vagues 
sablonneuses fuient, à perte de vue, vers Suez et la mer Rouge. Trois 
mille travailleurs, hommes et femmes, remuent depuis quinze mois les 
pierres et le mortier. Cent cinquante villas sont en construction; 
plusieurs sont presque achevées. Le Palace Hôtel, édifice grandiose et 
charmant, long de cent quatre-vingt-cinq mètres, sera terminé dans un 
an. Il coûtera, tout meublé, cinq millions. Ce sont les plans d'un jeune 
architecte belge, M. Ernest Jaspar, qui ont triomphé au concours. Ses 
terrasses étagées domineront un admirable spectacle: le désert, infini et 
rosé, où l'on voit courir, en même temps que les nuages au ciel, de 
grandes taches d'ombre; les maisons blanches et les palmiers de 
Matarieh; puis, à l'Ouest, Le Caire, inondé de lumière, hérissé de 
coupoles et de minarets; le ruban argenté du Nil; enfin, flamboyant 
dans l'azur, l'énorme triangle de la grande Pyramide. 
Trois avenues, larges de quarante mètres, traverseront la ville. 
Quarante-deux kilomètres de conduites d'eau sont achevés. Des milliers 
d'arbrisseaux, serrés les uns contre les autres, et protégés par des 
capuchons contre le vent du désert, grandissent dans le limon humide 
d'une vaste pépinière. Ils sont destinés à border les avenues et à peupler 
les jardins. M. le baron Empain et S.E. Boghos Pacha Nubar se font 
construire à Héliopolis chacun une villa somptueuse[1]. 
Cinq mille hectares sont réservés, plus avant dans le désert, pour 
l'extension de la cité nouvelle, qui doit comprendre, d'après le plan des 
fondateurs, trois agglomérations distinctes et successives, reliées entre 
elles par des avenues verdoyantes et des voies de communication 
rapide. La Société d'Héliopolis a reçu option, par contrat, sur cinq mille 
hectares, en sus des deux mille cinq cents de la première oasis, au prix 
de cinquante-cinq francs l'hectare environ. Trois voies ferrées seront 
établies entre la première oasis et le Caire: un chemin de fer et deux 
tramways électriques. L'un de ceux-ci, posé et équipé, est prêt pour 
l'exploitation. Il fera arrêt, en cours de route, à plusieurs stations. Ce 
sera la voie de banlieue, qui prendra et conduira des voyageurs à tous 
les villages échelonnés le long du chemin[2]. L'autre tramway est
particulièrement destiné aux fonctionnaires que la Société s'est engagée 
à loger moyennant un prix convenu avec le gouvernement égyptien. 
Quant au chemin de fer électrique, il courra, sans arrêt, du Caire à 
Héliopolis. Ce sera le train express. Le trajet durera quinze minutes: 
tout juste ce qu'il faut, à Bruxelles, pour aller du Nord au Midi. 
Telle est, en raccourci, l'entreprise qui a séduit des hommes d'affaires 
de premier ordre: Belges, Anglais, Français et Égyptiens. Comme 
toutes les grandes choses, elle a des détracteurs. Mais personne ne peut 
contester son originalité ni son caractère grandiose. C'est une 
magnifique partie à jouer. On comprend qu'elle passionne tant et de si 
puissants capitaines de la finance. Si elle réussit, ils auront attaché leur 
nom à une des plus belles choses qui se pourront voir, d'ici à une 
dizaine d'années, dans un des plus beaux pays du monde. 
La rareté des habitations et la cherté des loyers la provoquaient depuis 
longtemps. On a vu le prix des terrains à bâtir monter, au Caire, en cinq 
ans, de 1901 à 1906, à des sommets vertigineux, de quinze à quinze 
cents francs le mètre carré en de certains endroits. Il a dégringolé 
depuis lors. L'excès même de la spéculation a amené une crise 
immobilière, encore aggravée, dans la suite, par le contre-coup de la 
crise monétaire qui achève en ce moment son tour du monde. Mais les 
loyers des maisons et    
    
		
	
	
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