de son héros, et les formidables mésaventures qui 
les assaillirent. 
* * * 
Pascal a dit: «Il faut de l'agréable et du réel; mais il faut que cet 
agréable soit lui-même pris du vrai.» J'ai tâché de me conformer à sa 
doctrine dans cette histoire de Port-Tarascon. 
Mon récit est pris du vrai, fait avec des lettres d'émigrants, le 
«mémorial» du jeune secrétaire de Tartarin, des dépositions empruntées 
à la _Gazette des Tribunaux; _et quand vous rencontrerez ça et là, 
quelque tarasconnade par trop extravagante, que le crique me croque si 
elle est de mon invention[2]! 
LIVRE PREMIER 
Chapitre I 
_Doléances de Tarascon contre l'état des choses. -- Les boeufs, les 
Pères blancs. --Un tarasconnais au pays. -- Siège et reddition de 
l'abbaye de Pampérigouste._ 
«Franquebalme, mon bon..., Je ne suis pas content de la France!... Nos 
gouvernants nous font de tout.» 
Proférées un soir par Tartarin devant la cheminée du cercle, avec le 
geste et l'accent qu'on imagine, ces paroles mémorables résument bien 
ce qui se pensait et disait à Tarascon-sur-Rhône deux ou trois mois 
avant l'émigration. Le Tarasconnais en général ne s'occupe pas de 
politique: indolent de nature, indifférent à tout ce qui ne l'atteint pas 
localement, il tient pour l'_état de choses_, comme il dit. Pas moins, 
depuis quelque temps, on lui reprochait un tas de choses, à l'_état de 
choses_! 
«Nos gouvernants nous font de tout!» disait Tartarin. 
Dans ce «de tout» il y avait d'abord l'interdiction des courses de 
taureaux. 
Vous connaissez sans doute l'histoire de ce Tarasconnais très mauvais 
chrétien et garnement de la pire espèce, lequel après sa mort s'étant 
introduit au Paradis par surprise, pendant que saint Pierre avait le dos 
tourné, n'en voulait plus sortir, malgré les supplications du divin 
porte-clefs. Alors, que fit le grand saint Pierre? Il envoya toute une 
volée d'anges clamer devant le ciel autant qu'ils auraient de voix:
«Té! té!... les boeufs!... Té! té!... les boeufs!...» qui est le cri des 
courses tarasconnaises. Oyant cela, le bandit change de figure: 
«Vous avez donc des courses, par ici, grand saint Pierre? 
-- Des courses?... je crois bien magnifiques, mon bon. 
-- Où donc çà?... où se font-elles, ces courses? 
-- Devant le Paradis... Il y a du large, tu penses. 
Du coup le Tarasconnais se précipite dehors pour voir, et les portes du 
ciel se referment sur lui à tout jamais. 
Si je rappelle ici cette légende aussi vieille que les bancs du 
tour-de-ville, c'est afin d'indiquer la passion des gens de Tarascon pour 
les courses de taureaux et la colère où les mit la suppression de ce 
genre d'exercice. 
Après, vint l'ordre d'expulser les Pères-Blancs de fermer leur joli 
couvent de Pampérigouste, perché sur une collinette toute grise de 
thym et de lavande installé là depuis des siècles aux portes de la ville, 
d'où l'on aperçoit, entre les pins, la dentelle de ses clochetons 
carillonnant dans les brises claires du matin avec le chant des alouettes, 
au crépuscule avec le cri mélancolique des courlis. 
Les Tarasconnais les aimaient beaucoup, leurs Pères-Blancs, doux, 
bons, inoffensifs, et qui savaient tirer des herbes parfumées dont la 
montagnette est couverte un si excellent élixir; ils les aimaient 
pareillement pour leurs pâtés d'hirondelles et leurs délicieux 
_pains-poires[3]_, qui sont des coings enveloppés d'une pâte fine et 
dorée, d'où le nom de Pampérigouste[4] donné à l'abbaye. 
Aussi quand l'ordre officiel d'avoir à quitter leur couvent fut envoyé 
aux Pères et que ceux-ci refusèrent de sortir, quinze cents à deux mille 
Tarasconnais du commun, portefaix, décrotteurs, déchargeurs de 
bateaux du Rhône, ce que nous appelons la rafataille, vinrent 
s'enfermer dans Pampérigouste avec les bons moines. 
La bourgeoisie tarasconnaise, les messieurs du cercle, Tartarin en tête, 
pensaient bien aussi à soutenir la sainte cause. Il n'y eut pas une minute 
d'hésitation. Mais on ne se jette pas dans une pareille entreprise sans 
préparatifs d'aucune sorte. Bon pour la rafataille, d'agir ainsi 
étourdiment. 
Avant tout, il fallait des costumes. Et ils furent commandés; de 
superbes costumes renouvelés de la croisade, longues lévites noires, 
avec une grande croix blanche sur la poitrine, et partout, devant,
derrière, des entrelacements de fémurs soutachés. La soutache surtout 
prit beaucoup de temps. 
Quant tout fut prêt, le couvent était déjà investi. Les troupes 
l'entouraient d'un triple cercle, campées dans les champs et sur les 
pentes pierreuses de la petite colline. 
Les pantalons rouges de loin semblaient dans le thym et la lavande une 
floraison subite de coquelicots. 
On rencontrait par les chemins de continuelles patrouilles de cavaliers, 
la carabine le long de la cuisse, le fourreau de sabre battant le flanc du 
cheval, l'étui de revolver à la ceinture. 
Mais ce déploiement de forces n'était pas pour arrêter l'intrépide 
Tartarin, qui avait résolu de passer, ainsi qu'un gros de messieurs du 
cercle. 
À la file indienne, rampant sur les mains et les    
    
		
	
	
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