Poil de Carotte et lui dit:
--Et toi, qu'est-ce que tu aimes le mieux: une trompette ou un pistolet?
En vérité, Poil de Carotte est plutôt prudent que téméraire. Il préférerait
une trompette, parce que ça ne part pas dans les mains; mais il a
toujours entendu dire qu'un garçon de sa taille ne peut jouer
sérieusement qu'avec des armes, des sabres, des engins de guerre. L'âge
lui est venu de renifler de la poudre et d'exterminer des choses. Son
père connaît les enfants: il a apporté ce qu'il faut.
--J'aime mieux un pistolet, dit-il hardiment, sûr de deviner.
Il va même au peu loin et ajoute:
--Ce n'est plus la peine de le cacher; je le vois!
--Ah! dit monsieur Lepic embarrassé, tu aimes mieux un pistolet! tu as
donc bien changé?
Tout de suite Poil de Carotte se reprend:
--Mais non, va, non, papa, c'était pour rire. Sois tranquille, je les déteste,
les pistolets. Donne-moi vite ma trompette, que je te montre comme ça
m'amuse de souffler dedans.
Madame Lepic: --Alors pourquoi mens-tu? pour faire de la peine à ton
père, n'est-ce pas? Quand on aime les trompettes, on ne dit pas qu'on
aime les pistolets et surtout on ne dit pas qu'on voit des pistolets, quand
on ne voit rien. Aussi, pour t'apprendre, tu n'auras ni pistolets ni
trompette. Regarde-la bien; elle a trois pompons rouge et un drapeau à
franges d'or. Tu l'as assez regardée. Maintenant, va voir à la cuisine si
j'y suis; déguerpis, trotte et flûte dans tes doigts.
Tout en haut de l'armoire, sur une pile de linge blanc, roulée dans ses
trois pompons rouge et son drapeau à franges d'or, la trompette de Poil
de Carotte attend qui souffle, imprenable, invisible, muette comme
celle du jugement dernier.
La Mèche
Le dimanche, madame Lepic exige que ses fils aillent à la messe. On
les fait beaux et soeur Ernestine préside elle-même à leur toilette, au
risque d'être en retard pour la sienne. Elle choisit les cravates, lime les
ongles, distribue les paroissiens et donne le plus gros à Poil de Carotte.
Mais surtout elle pommade ses frères.
C'est une rage qu'elle a. Si Poil de Carotte, comme un Jean Fillou, se
laisse faire, grand frère Félix prévient sa soeur qu'il finira par se fâcher
aussi elle triche:
--Cette fois, dit-elle, je me suis oubliée, je ne l'ai pas fait exprès, et je te
jure qu'à partir de dimanche prochain, tu n'en aura plus.
Et toujours elle réussit à lui en mettre un doigt.
--Il arrivera malheur, dit grand frère Félix.
Ce matin, roulé dans sa serviette, la tête basse, comme soeur Ernestine
ruse encore, il ne s'aperçoit de rien.
--Là, dit-elle, je t'obéis, tu ne bougonneras point, regarde le pot fermé
sur la cheminée. Suis-je gentille? D'ailleurs je n'ai aucun mérite. Il
faudrait du ciment pour Poil de Carotte, mais avec toi, la pommade est
inutile. Tes cheveux frisent et bouffent tout seuls. Ta tête ressemble à
un chou-fleur et cette raie durera jusqu'à la nuit.
--Je te remercie, dit grand frère Félix.
Il se lève sans défiance. Il néglige de vérifier comme d'ordinaire, en
passant sa main sur ses cheveux.
Soeur Ernestine achève de l'habiller, le pomponne et lui met de gants
de filoselle blanche.
--Ça y est? dit grand frère Félix.
--Tu brilles comme un prince, dit soeur Ernestine, il ne te manque que
ta casquette. Va la chercher dans l'armoire.
Mais grand frère Félix se trompe. Il passe devant l'armoire. Il court au
buffet, l'ouvre, empoigne une carafe pleine d'eau et la vide sur sa tête,
avec tranquillité.
--Je t'avais prévenue, ma soeur, dit-il. Je n'aime pas qu'on se moque de
moi. Tu es encore trop petite pour rouler un vieux de la vieille. Si
jamais tu recommences, j'irai noyer ta pommade dans la rivière.
Ses cheveux aplatis, son costume du dimanche ruisselant, et tout
trempé, il attend qu'on le change ou que le soleil le sèche, au choix: ça
luit est égal.
--Quel type! se dit Poil de Carotte, immobile d'admiration. Il ne craint
personne, et si j'essayais de l'imiter, on rirait bien. Mieux vaut laisser
croire que je ne déteste pas la pommade.
Mais tandis que Poil de Carotte se résigne d'un coeur habitué, ses
cheveux le vengent à son insu.
Couché de force, quelque temps, sous la pommade, ils font les morts;
puis ils se dégourdissent, et par une invisible poussée bossellent leur
léger moule luisant, le fendillent, le crèvent.
On dirait un chaume qui dégèle. Et bientôt la première mèche se dresse
en l'air, droite, libre.
Le Bain
Comme quatre heures vont bientôt sonner, Poil de Carotte, fébrile,
réveille M. Lepic et grand frère Félix qui dorment sous les noisetiers du
jardin.
--Partons-nous? dit-il.
Grand frère Félix: Allons-y, porte les caleçons?
Monsieur Lepic: Il doit faire encore

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