de manquer, surtout les mères qui avaient 
«soigné» Sénac pendant un hiver ou deux, et qui avaient encore leurs 
filles sur les bras.
Quelques jeunes femmes, anciennes élèves du fameux couvent de 
l'avenue Kléber, et qui avaient conservé leurs entrées dans la maison 
après le sacrement, rétablissaient les faits et défendaient leur ancienne 
compagne contre les attaques de leurs aînées. 
--Thérèse n'a jamais porté l'habit religieux, disaient-elles. Son mariage 
s'est décidé la veille du jour où devait avoir lieu la vêture. Donc elle 
n'est pas plus défroquée que nous. 
--C'est bien subtil. Depuis trois ans elle était enfermée là-bas, et tout le 
monde la considérait déjà comme bien et dûment cloîtrée. Joli couvent, 
d'ailleurs, si les amoureux y entrent comme au moulin! 
--Mais non, chère madame; elle a connu M. de Sénac en Égypte, dans 
un voyage... 
--En Égypte! En voici bien d'une autre! Cette jeune personne 
accomplissait le tour du monde pendant qu'on la croyait prosternée 
dans sa cellule! C'est ce que nous appellerons faire son noviciat à 
l'américaine. 
--Hé! la pauvre petite ne voyageait pas pour son plaisir. Elle 
accompagnait son frère, malade de la poitrine, si malade qu'il en est 
mort, malgré l'Égypte... 
--Et qu'il n'a pas très bien surveillé sa garde-malade. Sénac aura si fort 
compromis la demoiselle que le couvent la lui a laissée pour compte. 
--Mais non, puisqu'elle est rentrée au couvent après son voyage et 
qu'elle y a passé presque deux ans. 
--Bon! je vois ce que c'est. Le monsieur l'aura quelque peu enlevée. 
--Croyez-vous? La Révérende Mère de Chavornay, qui est une sainte, 
n'aurait pas mis son nom sur les billets de part. Surtout elle n'aurait pas 
marié sa nièce dans la chapelle de son pensionnat, en présence des 
religieuses et des élèves.
--D'accord. Et les époux n'ont pu trouver, à eux deux, pour mettre sur 
les billets, qu'une vieille religieuse qui ne porte même pas leur nom? 
Comme parenté, c'est maigre, et cela sent l'enfant trouvé d'une lieue. 
--Ce n'est pas leur faute si Christian de Quilliane, frère de la mariée, fut 
le dernier de sa race, et s'ils n'ont, l'un et l'autre, ni père ni mère, ni frère, 
ni soeur... 
Pendant huit jours, des conversations de ce genre furent échangées dans 
une cinquantaine de salons, les plus huppés de Paris. Mais, si le jeune 
ménage trouvait toujours des gens pour l'attaquer, plus rarement des 
âmes charitables étaient là pour le défendre. On l'attaquait toutefois 
avec une modération relative, soit par un reste de cette 
franc-maçonnerie aristocratique si puissante en certains pays, si 
relâchée dans le nôtre; soit parce qu'on ne savait sur lui que du bien, 
dans le peu qu'on savait. Après examen, il parut évident qu'on aurait 
mauvaise grâce à ne pas ouvrir ses portes au grand large devant ces 
originaux, et même à ne pas assister aux fêtes qu'ils allaient donner, car 
on décida aussi qu'ils en donneraient. Une chose en effet ne pouvait se 
discuter: c'est que l'ancien hôtel des Quilliane, devenu l'hôtel des Sénac 
par le testament du dernier marquis et le mariage de Thérèse, était l'une 
des plus magnifiques résidences du quai d'Orsay, la seule peut-être à 
qui la Révolution et les embellissements de Paris n'ont enlevé ni un 
arbre, ni une pierre, ni une tapisserie, ni un meuble. 
En somme, la haute société ménageait aux Sénac des dispositions 
plutôt bienveillantes. Restait pour eux à en profiter avec reconnaissance, 
et, voilà précisément ce qui ne parut pas les préoccuper beaucoup. 
Février s'écoula--le mariage avait eu lieu à la Chandeleur--et les hautes 
baies de l'hôtel continuèrent à laisser voir derrière les étroits carreaux 
de leurs vitres la peinture jaunie des volets fermés. Le carême s'enfuit; 
les cloches de Pâques sonnèrent; les bals s'annoncèrent partout, excepté 
chez les Sénac, dont le Faubourg n'entendait plus parler. Peu s'en fallut 
qu'on ne les réclamât à la police. 
On avait si bien composé d'avance le menu de leurs dîners et la liste de 
leurs invitations, que bien des gens commençaient à sentir un 
mouvement d'humeur en passant sous les fenêtres obstinément fermées.
A toute force on eût accordé remise de quelques mois pour cause de 
réparations--les appartements devaient être furieusement délabrés--si, 
du moins, le jeune couple avait abattu sa tournée de visites. Mais ils en 
prenaient par trop à leur aise, aussi bien avec les gens pressés qu'avec 
les gens curieux; en d'autres termes, ils se moquaient du monde. 
Aussi le monde, indisposé par cet exemple fâcheux d'insoumission, 
jugea-t-il à propos de faire une enquête sérieuse; malheureusement les 
témoins manquaient, même ceux du mariage, car trois d'entre eux 
étaient venus tout exprès du fond de la province, et depuis longtemps 
avaient regagné leurs gentilhommières respectives. C'était à croire que 
les mariés avaient prévu ce qui se passerait. Dieu merci! le quatrième 
témoin habitait la capitale, mais il avait quatre-vingts ans, et le pauvre    
    
		
	
	
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