Pile et face | Page 4

Lucien Biart
attendit, sur le seuil de la maison qu'ils habitaient en commun, le retour de son fr��re. Le matin m��me, elle avait r��alis�� une somme de deux mille francs, ses ��conomies de vingt ans. Vers minuit, le pas lourd et r��gulier de l'ex-fantassin r��sonna au bout de la rue. Bient?t il p��n��tra dans le corridor sur lequel s'ouvraient le salon et la salle �� manger, sans para?tre surpris le moins du monde de trouver la porte ouverte. M. de La Taillade nageait dans la satisfaction et l'admiration de lui-m��me; il avait endormi, le verre en main, deux chasseurs d'Afrique et vid�� �� lui seul une bouteille de cognac.
?J'ai �� vous parler, mon fr��re?, dit Mademoiselle en touchant du doigt le bras de l'ivrogne.
Celui-ci fit volte-face, s'appuya contre la muraille, afin d'assurer son ��quilibre, porta la main ouverte �� la hauteur de son front et sourit d'un air aimable.
?J'aurais choisi un autre instant pour vous entretenir, reprit Mademoiselle avec un d��go?t visible, s'il en ��tait un o�� l'on p?t vous trouver �� jeun.?
L'ex-sergent devint s��rieux, posa galamment une main sur son coeur et cria d'une voix caverneuse:
?Pr��sentez... arme!?
Puis, reprenant son sourire, il fit un mouvement d'��paules comme pour remonter son sac absent, et se pressa de nouveau contre la muraille.
Mademoiselle eut un instant d'h��sitation; elle craignait de n'��tre pas comprise de cet homme �� l'oeil h��b��t�� qui la regardait fixement. Combien elle se trompait, et qu'elle aurait eu tort d'attendre jusqu'au lendemain! Si le corps du soudard ��tait alourdi, l'instinct de la b��te veillait. L'ex-sergent cessa de sourire quand sa soeur l'engagea �� retourner �� Paris, �� ne jamais repara?tre �� Houdan. Les jambes de M. de La Taillade furent saisies d'une sorte de tremblement lorsqu'il sentit tomber dans sa main un sac plein d'or qui repr��sentait un nombre incalculable de verres d'absinthe. Il fut pris alors d'un hoquet d'attendrissement, et bailla de fa?on �� inqui��ter une personne plus exp��riment��e que Mademoiselle sur les suites possibles de ces spasmes. Mais ce descendant des crois��s, comme il sut garder sa dignit��! Pas une plainte, pas un remerc?ment, pas un regret ne s'��chappa de sa bouche; il ne nomma m��me pas la pauvre Eug��nie. Non, aussit?t qu'il eut compris, il pivota sur la jambe gauche avec une r��gularit�� prussienne; puis, d'un pas lent, mesur��, majestueux, vrai miracle d'��quilibre, il se dirigea vers l'h?tel du Soleil d'or en bourrant cette pipe noire qui semblait ��ternelle. Une heure plus tard, une lourde diligence ��branlait de la base au fa?te les maisons situ��es dans la grande rue; les vitres tremblaient, le cornet du conducteur r��sonnait, et les fers de quatre chevaux semaient la route d'��tincelles. Mademoiselle, qui avait ��pi�� ce d��part, vit reluire sur l'imp��riale le foyer de la pipe noire. Elle regagna alors sa chambre et songea �� l'avenir.
Le lendemain il fallut expliquer �� la pauvre d��laiss��e le d��part de son mari. Mademoiselle ne savait pas mentir et porta de rudes coups au coeur d'Eug��nie, qui, dans le premier moment, ne parla de rien moins que d'aller rejoindre M. de La Taillade. Le monde est plein de ces d��vouements s��rieux, aveugles, absolus, et, pour se dispenser de les imiter, on qualifie d'esprits faibles ceux qui s'en montrent capables. Mademoiselle ne pensait pas ainsi; les inqui��tudes na?ves, les regrets touchants de sa belle-soeur la firent pleurer, car elle s'accusait. Mais garder plus longtemps dans la maison l'incorrigible ivrogne, c'e?t ��t�� marcher volontairement �� la mis��re. D'ailleurs, puisque personne ne se pr��occupait de l'enfant qui allait na?tre, il devenait n��cessaire que Mademoiselle y songeat.
La r��putation de M. de La Taillade ��tait d��j�� si bien ��tablie �� Houdan, qu'on l'accusa d'une commune voix d'avoir abandonn�� sa femme. Les hum, hum! sonores de Catherine, lorsqu'on traitait ce sujet devant elle, en disaient plus que la robuste servante ne semblait le croire elle-m��me, M. de La Taillade fut pourtant regrett��; oui, regrett�� par cinq ou six habitu��s du Soleil d'or, qui, bien qu'��lev��s �� une ��cole de province, n'��taient pas indignes de trinquer avec le buveur ��m��rite qu'aucun d'eux n'avait pu vaincre et qui payait si g��n��reusement l'��cot.
Peu �� peu le calme renaquit dans la petite maison de la grande rue. Mademoiselle s'occupa tout d'abord de mettre de l'ordre dans les affaires de sa belle-soeur. On vendit la ferme qui constituait la dot d'Eug��nie, on paya les dettes contract��es par M. de La Taillade, et une somme de 15,000 francs fut, par les soins du notaire, plac��e sur premi��re hypoth��que. Les deux belles-soeurs continu��rent �� vivre ensemble, et Catherine trouva le moyen de ne rien retrancher �� la part des pauvres.
Un soir, grace �� l'active servante qui paraissait avoir perdu la t��te, l'habitation de Mademoiselle se trouva soudain envahie par vingt comm��res, plus exp��riment��es les unes que les autres dans l'art de mettre un enfant au monde. Le salon ressemblait ��
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