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MÉDITATION I 
NUIT ÉTRANGE D'OÙ EST SORTI LE PRÉSENT LIVRE 
J'avais dit beaucoup de mal de Colette dans la journée,--ce qui ne 
m'avait ni changé ni soulagé. Je rentrai mécontent de moi, comme un 
homme qui s'est abaissé à commettre l'action qu'il blâmerait le plus 
chez un autre, et malade d'elle comme je ne l'avais jamais été. Ces fins 
d'après-midi de février, avec leurs brumes aigres et cruelles, vous 
pincent les nerfs à vous les casser. Mon domestique alluma la lampe. Je 
m'assis au coin du feu dans mon «souffroir» de la rue de Varenne, qui 
fut autrefois mon «aimoir». Des baisers de cet autrefois me revinrent, 
un autrefois d'il y a pourtant deux ans, grande meretricii oevi spatium, 
eût dit le père Aubert, mon vieux maître de rhétorique.--Je sentis une 
amertume infinie noyer mon coeur, et, comme d'habitude, je me 
raisonnai: 
--«Hé quoi! Claude Larcher, mon ami, tu souffres, et tu l'as quittée! Oui, 
c'est toi qui l'as quittée, et tu possèdes là, dans un tiroir à la portée de 
ton bras, des lettres où elle te supplie de revenir et auxquelles tu as 
répondu, comme il sied, par du persiflage. Ton imbécile amour-propre 
d'homme doit être satisfait, que diable!... Elle est bien jolie avec ses 
cheveux cendrés, ses yeux couleur d'eau et sa bouche à la Botticelli. 
Mais n'a-t-elle pas prostitué cette beauté à tous tes désirs? Y a-t-il une 
place de ce corps, si jeune et si frais, que tu n'aies profanée dans des 
heures de délire? Donc, avec cette femme, pas de recherche d'une 
sensation nouvelle. Quant à son coeur, c'est par horreur de lui que tu 
l'as quittée, ayant éprouvé qu'il n'en est pas de plus perfide, de plus 
gangrené par les vices de son métier de comédienne en vogue, de plus
incapable d'aimer. Pourquoi donc, pensant tout cela, éprouves-tu cette 
brûlure affreuse à la seule idée de son existence, là, sous le sein gauche? 
Pourquoi cette étreinte de ton cerveau par ce souvenir que tout rappelle: 
une nuance du ciel, un mot entendu, un coin de rue tourné, un camarade 
rencontré? Pourquoi surtout ce cuisant et monstrueux désir de lui faire 
du mal?... Ah! si je pouvais aller jusqu'à l'extrémité de ce désir!...» 
Je fermai les yeux. Je vis devant moi ce corps dont je connais chaque 
ligne, ces épaules pleines à la fois et minces, cette gorge souple, ces 
hanches sveltes, toute sa nudité, et moi, avec un couteau, déchirant 
cette chair, ensanglantant ces membres, et leur frémissement sous la 
pointe de l'acier,--et sa douleur.... Non, je ne ferai jamais cela, parce 
que chez moi, civilisé de décadence, l'action ne sera jamais la soeur du 
désir.... Dieu juste! que je l'ai rêvé de fois, et rien que de le rêver me 
soulage.--Ah! la hideuse chose!... 
* * * * * 
--«C'est positif pourtant que cet accès de fureur m'a soulagé,» me 
disais-je un peu plus tard, en vaquant aux soins de ma toilette de soirée. 
J'eus un moment de franche gaieté à répéter tout haut la phrase de 
Boisgommeux dans la Petite Marquise: «C'est ça, l'amour....» Ah! 
j'aurais cette gaieté-là, le soir, j'en suis sûr, je le sais, si j'avais tué 
Colette le matin, et puis, quel divin sommeil! Oui, comme je dormirais 
bien avec la certitude que personne ne possédera plus ce corps de 
femme, qu'aucune bouche ne la salira plus de ses baisers!... Si tout à 
l'heure, dans la maison où je vais dîner, un des hommes de cercle qui 
viendront là prononçait cette phrase, seulement cette petite phrase: 
«Vous vous rappelez Colette Rigaud?... Elle est morte hier, à 
Pétersbourg, subitement....» quel flot de délices inonderait mon coeur! 
Non, ce ne serait pas assez, je voudrais apprendre qu'elle a souffert.--Et 
je l'aime! Que lui souhaiterais-je donc si je la haïssais?...» 
J'avais fini de m'habiller en dégustant cette absinthe amère de la 
rancune, qui a ceci de commun avec l'autre qu'elle ne donne guère 
d'appétit et qu'elle rend méchant et fou. Je continuai dans mon fiacre, et 
je me réveillai comme d'un songe quand j'entrai dans le vestibule de 
l'hôtel où je devais dîner,--en plein décor du luxe le plus moderne, le
luxe du boursier qui peinait dans la coulisse, voilà dix ans, et que des 
chances extraordinaires ont porté à un degré invraisemblable de fortune. 
Simple remisier, Michel Mayence se donnait déjà les gants de frayer 
avec des artistes. Il ne manquait pas une première, pas une ouverture 
d'exposition. Avec son teint pâle et comme fané une fois pour toutes, 
avec ses yeux noirs qui trahissent l'origine sémitique et qui prennent 
dans cette face exsangue l'éclat des yeux d'un portrait, avec ses mains 
maigres où luisent quelques bagues, avec son élégance impersonnelle et 
irréprochable, sa moustache fine et son front dénudé,--il est le type de 
ce personnage nouveau qui    
    
		
	
	
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