turbulents de l'Université animaient la 
ville de leurs cris, de leurs rixes et de leurs fêtes. C'était un 
éblouissement, un rêve, souvent un cauchemar. Un grand poëte a décrit 
ce spectacle magique et prestigieux que présentait chaque jour le Paris 
du moyen âge, et je serais fâché qu'on pût croire que j'ai voulu 
recommencer la description après lui. 
Aujourd'hui, lorsque M. Prudhomme, propriétaire, électeur, expert juré 
et capitaine de la garde nationale, monte au sommet de la colonne 
Vendôme, escorté de sa famille, et qu'il promène ses regards 
majestueux sur Paris, il voit sous ses pieds s'aligner à l'équerre, 
s'allonger au cordeau, une ville auguste et majestueuse comme lui. Les 
étroites et bizarres ruelles de la vieille cité sont devenues de larges 
artères, croisées à angles droits, le long desquelles une population 
correcte circule au pas d'ordonnance, sous le regard paternel et satisfait 
des sergents de ville. Il entrevoit dans le lointain des colonnades 
grecques et romaines, des gares solennelles, des halles classiques, de 
modernes églises gothiques, qui rappellent le moyen âge comme 
l'auteur d'Alonzo rappelait Chateaubriand; la Bourse, qui ressemble à la 
Madeleine, et la Madeleine, qui ressemble à la Bourse; des auberges 
qui singent des palais, des palais qu'on prendrait pour des auberges, des 
cafés suisses, mauresques, renaissance, turcs et chinois, et, couronnant 
le tout, des casernes monumentales, qui sont comme les phares de cette 
mer d'édifices, et les signes particuliers de la haute civilisation à 
laquelle nous sommes parvenus. Partout s'épanouit dans sa fleur ce 
beau style municipal et administratif, destiné à faire l'admiration des
chefs de bureau. Partout flamboie sobrement et réglementairement une 
architecture égalitaire de stuc et de plâtre, où rien ne dépasse le niveau, 
où pas une pierre ne fait angle et ne sort du cadre: un de ces idéals 
d'architecture tel qu'en peut rêver un préfet de police dans ses songes 
les plus désordonnés. 
La forêt touffue du vieux Paris a été émondée, taillée, rognée, peignée 
et lissée, comme le jardin de Boileau par son gouverneur Antoine, 
comme le parc de Versailles par le Nôtre et la Quintinie. L'édilité 
moderne, pour parler la langue officielle, a fauché à tour de bras la 
sombre forêt, pleine de ronces et de broussailles; puis elle l'a 
proprement taillée en losanges, en pyramides, en quinconces et en 
plates-bandes. La France, pays turbulent et fougueux, est possédée par 
la rage de l'élégance et de la correction classique. Elle n'a jamais assez 
de gouvernement, cette nation qui passe pour révolutionnaire, et qui 
l'est par soubresauts et par brusques réveils: il lui en faut dans ses arts 
comme dans ses moeurs, dans ses maisons comme dans ses lois. La 
toilette de Paris est devenue une question de cadastre administrée par 
des arpenteurs, et centralisée entre les mains d'une bureaucratie 
inflexible, une sorte d'appendice matériel aux articles du code 
Napoléon. La grande ville s'est disciplinée à la façon d'un régiment 
sous la main de son colonel; ses maisons font la haie, rangées de front 
par ordre de taille, échelonnées par uniformes, soigneusement astiquées 
du haut en bas, comme des soldats à la parade. Les bourgeois pour qui 
c'est une suprême jouissance de contempler au Champ de Mars des 
fantassins alignés à perte de vue, tous les mêmes, restant debout trois 
heures en plein soleil sans broncher d'un millimètre, sans que l'oeil du 
caporal le plus rigide puisse distinguer l'ombre d'une différence dans les 
plis des guêtres, la direction du fusil ou l'expression des physionomies, 
ceux-là doivent trouver aussi ce spectacle admirable, car il présente à 
peu près la même opulence de lignes et la même variété d'aspects. Nous 
n'avons plus qu'une rue à Paris: c'est la rue de Rivoli. Non contente 
d'avoir poussé sa trouée jusqu'au bout de la ville, elle reparaît partout, 
en se déguisant sous une multitude de noms. Encore un peu de temps, 
et nous n'aurons plus de rues: il n'y aura plus que des boulevards. 
Paris, au moyen âge, c'était un drame de Shakespeare: Paris,
aujourd'hui, c'est une tragédie de M. Viennet, corrigée par S. E. le 
maréchal Magnan; ou, si on l'aime mieux, c'est un poëme épique revu 
par un professeur de grammaire. Sans mépriser les tragédies de M. 
Viennet, je préfère les drames de Shakespeare: j'espère que M. Viennet 
ne s'en offensera pas. On a opposé souvent avec complaisance Paris, la 
ville de marbre, à Lutèce, la ville de boue; mais il y avait bien des 
perles dans cette boue, tandis que ce marbre n'est parfois que du bois 
peint et du carton-pierre. Du reste, qu'on veuille bien le croire, je sais 
mesurer mes regrets, et me voici tout prêt à avouer qu'il en est 
probablement de ce Paris du moyen âge,--tant pleuré par les artistes, 
tant chanté sur la lyre et le mirliton par les faiseurs de poëmes et de 
romances,--comme de Cologne, de Constantinople et    
    
		
	
	
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