que l'aumône fait du bien à celui qui donne et du 
mal à celui qui reçoit, et parce qu'enfin, la richesse étant par elle-même 
dure et cruelle, il ne faut pas qu'elle revête l'apparence trompeuse de la 
douceur. Puisque vous voulez que je fasse un conte pour les riches, je 
leur dirai: «Vos pauvres sont vos chiens que vous nourrissez pour 
mordre. Les assistés font aux possédants une meute qui aboie aux 
prolétaires. Les riches ne donnent qu'à ceux qui demandent. Les 
travailleurs ne demandent rien. Et ils ne reçoivent rien.» 
--Mais les orphelins, les infirmes, les vieillards?... 
--Ils ont le droit de vivre. Pour eux je n'exciterai pas la pitié, 
j'invoquerai le droit. 
--Tout cela, c'est de la théorie! Revenons à la réalité. Vous me ferez un 
petit conte à l'occasion des étrennes, et vous pourrez y mettre une 
pointe de socialisme. Le socialisme est assez à la mode. C'est une 
élégance. Je ne parle pas, bien entendu, du socialisme de Guesde, ni du 
socialisme de Jaurès; mais d'un bon socialisme que les gens du monde 
opposent avec à-propos et esprit au collectivisme. Mettez-moi dans 
votre conte des figures jeunes. Il sera illustré, et l'on n'aime, dans les 
images, que les sujets gracieux. Mettez en scène une jeune fille, une 
charmante jeune fille. Ce n'est pas difficile. 
--Non, ce n'est pas difficile.
--Ne pourriez-vous pas introduire aussi dans le conte un petit ramoneur? 
J'ai une illustration toute faite, une gravure en couleurs, qui représente 
une jolie jeune fille faisant l'aumône à un petit ramoneur, sur les 
marches de la Madeleine. Ce serait une occasion de l'employer... Il fait 
froid, il neige; la jolie demoiselle fait la charité au petit ramoneur... 
Vous voyez cela?... 
--Je vois cela. 
--Vous broderez sur ce thème. 
--Je broderai. Le petit ramoneur, transporté de reconnaissance, se jette 
au cou de la jolie demoiselle qui se trouve être la propre fille de M. le 
comte de Linotte. Il lui donne un baiser et imprime sur la joue de cette 
gracieuse enfant un petit O de suie, un joli petit O tout rond et tout noir. 
Il l'aime. Edmée (elle se nomme Edmée) n'est pas insensible à un 
sentiment si sincère et si ingénu... Il me semble que l'idée est assez 
touchante. 
--Oui... vous pourrez en faire quelque chose. 
--Vous m'encouragez à continuer... Rentrée dans son appartement 
somptueux du boulevard Malesherbes, Edmée éprouve pour la première 
fois de la répugnance à se débarbouiller; elle voudrait garder sur la joue 
l'empreinte des lèvres qui s'y sont posées. Cependant le petit ramoneur 
l'a suivie jusqu'à sa porte; il reste en extase sous les fenêtres de 
l'adorable jeune fille... Cela va-t-il? 
--Mais, oui... 
--Je poursuis. Le lendemain matin, Edmée, couchée dans son petit lit 
blanc, voit le petit ramoneur sortir de la cheminée de sa chambre. Il se 
jette ingénument sur la délicieuse enfant et la couvre de petits O de suie, 
tout ronds. J'ai oublié de vous dire qu'il est d'une beauté merveilleuse. 
La comtesse de Linotte le surprend dans ce doux travail. Elle crie, elle 
appelle. Il est si occupé qu'il ne la voit ni ne l'entend. 
--Mon cher Marteau...
--Il est si occupé qu'il ne la voit ni ne l'entend. Le comte accourt. Il a 
l'âme d'un gentilhomme. Il prend le petit ramoneur par le fond de la 
culotte, qui précisément se présente à ses yeux, et le jette par la fenêtre. 
--Mon cher Marteau... 
--J'abrège... Neuf mois après, le petit ramoneur épousait la noble jeune 
fille. Et il n'était que temps. Voilà les suites d'une charité bien placée. 
--Mon cher Marteau, vous vous êtes assez payé ma tête. 
--N'en croyez rien. J'achève. Ayant épousé Mlle de Linotte, le petit 
ramoneur devint comte du Pape et se ruina aux courses. Il est 
aujourd'hui fumiste rue de la Gaîté, à Montparnasse. Sa femme tient la 
boutique et vend des salamandres, à 18 francs, payables en huit mois. 
--Mon cher Marteau, ce n'est pas drôle. 
--Prenez garde, mon cher Horteur. Ce que je viens de vous conter, c'est, 
au fond, la Chute d'un ange, de Lamartine, et l'Eloa, d'Alfred de Vigny. 
Et, à tout prendre, cela vaut mieux que vos petites histoires larmoyantes, 
qui font croire aux gens qu'ils sont très bons alors qu'ils ne sont pas 
bons du tout, qu'ils font du bien alors qu'ils ne font pas de bien, qu'il 
leur est facile d'être bienfaisants, alors que c'est la chose la plus difficile 
du monde. Mon conte est moral. De plus il est optimiste et finit bien. 
Car Edmée trouva dans la boutique de la rue de la Gaîté le bonheur 
qu'elle aurait cherché en vain dans les divertissements et les fêtes, si 
elle avait épousé un diplomate ou un officier... Mon cher directeur, 
répondez-moi: prenez-vous Edmée ou la Charité bien placée pour le 
Nouveau Siècle illustré? 
--C'est que    
    
		
	
	
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