Oliver Twist | Page 3

Charles Dickens
de secours; mais elle en avait été si longtemps privée, qu'il n'en était plus question.
?C'est fini, madame Thingummy, dit enfin le chirurgien.
- Ah! pauvre femme, c'est bien vrai, dit la garde en ramassant la bouchon de la bouteille verte, qui était tombé sur le lit tandis qu'elle se baissait pour prendre l'enfant. Pauvre femme!
- Il est inutile de m'envoyer chercher si l'enfant crie, dit le chirurgien d'un air délibéré; il est probable qu'il ne sera pas bien tranquille. Dans ce cas donnez--lui un peu de gruau.? Il mit son chapeau, et en gagnant la porte il s'arrêta près du lit et ajouta: ?C'était une jolie fille, ma foi; d'où venait-elle?
- On l'a amenée ici hier soir, répondit la vieille femme, par ordre de l'inspecteur; on l'a trouvée gisant dans la rue; elle avait fait un assez long trajet, car ses chaussures étaient en lambeaux; mais d'où venait-elle, où allait-elle? nul ne le sait.?
Le chirurgien se pencha sur le corps, et soulevant la main gauche de la défunte: ?Toujours la vieille histoire, dit-il en hochant la tête; elle n'a pas d'alliance... Allons! bonsoir.?
Le docteur s'en alla d?ner, et la garde, ayant encore une fois porté la bouteille à ses lèvres, s'assit sur une chaise basse devant le feu, et se mit à habiller l'enfant.
Quel exemple frappant de l'influence du vêtement offrit alors le petit Olivier Twist! Enveloppé dans la couverture qui jusqu'alors était son seul vêtement, il pouvait être fils d'un grand seigneur ou d'un mendiant: Il e?t été difficile pour l'étranger le plus présomptueux de lui assigner un rang dans la société; mais quand il fut enveloppé dans la vieille robe de calicot, jaunie à cet usage, il fut marqué et étiqueté, et se trouva, tout d'un coup à sa place: l'enfant de la paroisse, l'orphelin de l'hospice, le souffre-douleur affamé, destiné aux coups et aux mauvais traitements, au mépris de tout le monde, à la pitié de personne.
Olivier criait de toute sa force. S'il e?t pu savoir qu'il était orphelin, abandonné à la tendre compassion des marguilliers et des inspecteurs, peut-être e?t-il crié encore plus fort.
CHAPITRE II Comment Olivier Twist grandit, et comment il fut élevé.
Pendant les huit ou dix mois qui suivirent, Olivier Twist fut victime d'un système continuel de tromperies et de déceptions; il fut élevé au biberon: les autorités de l'hospice informèrent soigneusement les autorités de la paroisse de l état chétif du pauvre orphelin affamé. Les autorités de la paroisse s'enquirent avec dignité près des autorités de l'hospice, s'il n'y aurait pas une femme, demeurant actuellement dans l'établissement, qui f?t en état de procurer à Olivier Twist la consolation et la nourriture dont il avait besoin; les autorités de l'hospice répondirent humblement qu'il n'y en avait pas: sur quoi les autorités de la paroisse eurent l'humanité et la magnanimité de décider qu'Olivier serait _affermé_, ou, en d'autres mots, qu'il serait envoyé dans une succursale à trois milles de là, où vingt à trente petits contrevenants à la loi des pauvres passaient la journée à se rouler sur le plancher sans avoir à craindre de trop manger ou d'être trop vêtus, sous la surveillance maternelle d'une vieille femme qui recevait les délinquants à raison de sept pence[1] par tête et par semaine. Sept pence font une somme assez ronde pour l'entretien d'un enfant; on peut avoir bien des choses pour sept pence; assez, en vérité, pour lui charger l'estomac et altérer sa santé. La vieille femme était pleine de sagesse et d'expérience; elle savait ce qui convenait aux enfants, et se rendait parfaitement compte de ce qui lui convenait à elle-même: en conséquence, elle fit servir à son propre usage la plus grande partie du secours hebdomadaire, et réduisit la petite génération de la paroisse à un régime encore plus maigre que celui qu'on lui allouait dans la maison de refuge où Olivier était né. Car la bonne dame reculait prudemment les limites extrêmes de l'économie, et se montrait philosophe consommée dans la pratique expérimentale de la vie.
Tout le monde conna?t l'histoire de cet autre philosophe expérimental qui avait imaginé une belle théorie pour faire vivre un cheval sans manger, et qui l'appliqua si bien, qu'il réduisit peu à peu la ration de son cheval à un brin de paille; sans aucun doute, cette bête fut devenue singulièrement agile et fringante si elle n'était pas morte, précisément vingt-quatre heures avant de recevoir pour la première fois une forte ration d'air pur. Malheureusement pour la philosophie expérimentale de la vieille femme chargée d'avoir soin d'Olivier Twist, ce résultat était le plus souvent la conséquence naturelle de son système. Juste au moment où un enfant était venu à bout d'exister avec la plus mince portion de la plus chétive nourriture, il arrivait, huit ou neuf fois sur dix, qu'il avait la méchanceté de tomber malade de froid et
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