ciel. Ceux qui sont partis 
vivent, chantent et pensent maintenant une octave plus haut que nous; 
c'est pourquoi nous ne les entendons plus; mais nous savons bien que le 
choeur sacré des âmes n'est pas muet et que notre partie y est écrite et 
nous attend. 
Au delà, oui, au delà! Faut-il s'inquiéter de ce peu de notes que nous 
avons à dire encore? Et, quand nous avons souhaité le bonsoir au vivant 
qui ferme la porte et descend l'escalier, savons-nous si ce mot n'est pas 
le dernier que nous aurons dit dans la langue des hommes? 
Vivre est un bonheur quand même, parce que la vie est un don; mais il 
y a bien des jours, dans notre éphémère existence humaine, où nous ne 
sentons pas ce bonheur. Ce n'est pas la faute de l'univers! Les 
personnalités puissantes souffrent moins que les autres. Elles traversent 
les crises avec une vaillance extraordinaire, et, quand elles sont forcées 
de descendre dans les abîmes du doute et de la douleur, elles remontent, 
les mains pleines de poésies sublimes. 
Tel vous êtes, ô poëte que nous admirons! dans la tempête, vous 
chantez plus haut que la foudre, et, quand un rayon de soleil vous 
enivre, vous avez l'exubérante gaieté du printemps. Si tout est gris et 
morne autour de vous, votre âme se met à l'unisson des heures pâles et 
lugubres; mais vous chantez toujours et vous voyez, vous sentez, même 
sous l'impression accablante du néant, la profondeur des choses cachées 
sous le silence et l'ombre. Ce mutisme intérieur des coeurs brisés, cette 
surdité subite de l'esprit fermé à tous les renouvellements du dehors, 
vous ne les connaissez pas. Cela est heureux pour nous, car votre voix 
est un événement dans nos destinées, et, quand nous n'entendons plus 
celle de la nature, vous parlez pour elle et vous nous forcez d'écouter. Il 
faut donc s'éveiller, et demander à votre immense vitalité un souffle qui
nous ranime. Nul n'a le droit d'être indifférent quand votre fanfare 
retentit. C'est un appel à la vie, à la force, à la croyance, à la 
reconnaissance que nous devons à l'auteur du beau dans l'univers. Ne 
pas vous écouter, c'est être ingrat envers lui, car personne ne le connaît 
et ne le célèbre comme vous. 
La poésie, la grande poésie! quelle arme dans les mains de l'homme 
pour combattre l'horreur du doute! La philosophie est belle et grande, 
soit qu'elle rejette, soit qu'elle affirme l'espérance. Elle aussi fouille les 
profondeurs, éclaire les abîmes et relève énergiquement la puissance 
intellectuelle. Par elle, celui-ci, qui croit au néant, se dévoue à tripler 
les forces de son être pour marquer son passage en ce monde. Par elle 
encore, celui-là, qui croit à sa propre immortalité, se rend digne d'un 
monde meilleur. Appel à la libre raison sur toute la ligne! Travail 
généreux de la pensée qui cherche Dieu toujours, quand même elle le 
nie! 
Mais voici venir la poésie. Celle-ci ne raisonne ni ne discute, elle 
s'impose. Elle vous saisit, elle vous enlève au-dessus même de la région 
où vous vous sentiez libres. Vous pouvez bien encore discuter ses 
audaces et rejeter ses promesses, mais vous n'en êtes pas moins la proie 
de l'émotion qu'elle suscite. C'est ce cheval fantastique qui de son vol 
puissant sépare les nuées et embrasse les horizons. Le poëte l'appelle 
monstrueux et divin. Il est l'un et l'autre, mais qu'on l'aime classique, 
comme la Grèce, ou qu'il ait «l'échevèlement des prophètes,» il a cela 
d'étrange et de surnaturel que chacun voudrait pouvoir le monter, et 
qu'au bruit formidable de sa course, tout frémit du désir de s'envoler 
avec lui. 
C'est la magie de cet art qui s'adresse à la partie la plus impressionnable 
de l'âme humaine, à l'imagination, au sens de l'infini, et, si le poëte 
vous arrache ce cri: «C'est grand! c'est beau!» il a vaincu! Il a prouvé 
Dieu, même sans parler de lui, car, à propos d'un brin d'herbe, il a fait 
palpiter en vous l'immortalité, il a fait jaillir de vous cette flamme qui 
veut monter au-dessus du réel. Il ne vous a pas dit comme le philosophe: 
«Croyez ou niez, vous êtes libre.» Il vous a dit: «Voyez et entendez, 
vous voilà délivré.»
Au delà d'une certaine région où l'esprit humain ne peut plus affirmer 
rien, et où il craint de s'affirmer lui-même, le poëte peut affirmer tout. 
C'est le voyant qui regarde par-dessus toutes nos montagnes. Qui osera 
lui dire qu'il se trompe, s'il a fait passer en vous l'enthousiasme de 
l'inconnu, et si sa vision palpitante a fait vibrer en vous une corde que 
la raison et la volonté laissaient muette? 
Art et poésie, voilà les deux ailes de notre âme. Que la note soit terrible 
ou délicieuse, elle éveille l'instinct sublime engourdi qui s'ignore, ou le 
renouvelle quand elle le    
    
		
	
	
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