Morphine | Page 2

Jean-Louis Dubut de Laforest
r��v��laient des formes d'athl��te, et le blanc plastron de la chemise--la fine cuirasse mondaine--faisait songer les dames guerri��res �� l'autre cuirasse de m��tal aux ��blouissantes blancheurs.
Tout en lui disait la peau et l'ame d'un male, et cependant la musculature merveilleuse s'agitait et tremblait, sous un tic nerveux imperceptible, non point comme un jeune rameau, �� l'effort de la s��ve, mais comme un arbre jadis bien plant��, bien fleuri, et que d��vorent les vers, en son printemps.
Assis pr��s du camarade Fayolle, Raymond de Pontaillac demeurait grave, indiff��rent au jeu de dominos et �� toutes les propositions de joyeuset��s nocturnes.
--Voulez-vous un tour �� quatre? lui dit le major; je gagne tout ce que je veux.
--Qu'est-ce que cela me fait? Si vous croyez que je m'int��resse �� votre sacr��e partie!...
Un gar?on s'approcha, demandant ce qu'il fallait servir.
--Rien!... Ah! si... un verre d'eau!... Je meurs de soif!
Quand le capitaine de Pontaillac eut aval�� un verre d'eau frapp��e, il s'absorba dans la lecture du Soir, et les deux horizontales ne purent s'emp��cher de dire au lieutenant:
--Il n'est pas dr?le, ton ami.
--Ma foi, non!
La partie termin��e, Jean de Fayolle voulut amuser Pontaillac. Il indiquait dans la salle voisine et derri��re une glace d��polie le vieux monsieur, bien connu des officiers, et en train, selon son habitude, de mettre au jour l'Annuaire militaire.
--Quelle patience, hein?
--J'ai envie de l'��trangler!
--Oh! Raymond?...
--Une vilaine histoire que nous batirions l��! fit Th��r��se, en riant. Mon capitaine, vous le croqueriez d'un seul morceau, ce brave homme!
--Et vous auriez tort, Pontaillac, d��clara Arnould-Castellier. Le correcteur est un de nos meilleurs amis.
--Que voulez-vous? Je souffre et j'ai des humeurs noires que je ne puis vaincre et dont j'ignore la cause.
--Je la connais, moi, affirma le major qui ��rigeait des dominos en tour Eiffel.
--Des b��tises!... La morphine, n'est-ce pas?
--Eh bien, oui, la morphine!... Vous vous tuez, Pontaillac!
--Me tuer? Allons donc! D��s que ?a me fera mal, je cesserai.
--Il sera trop tard; vous ne pourrez plus enrayer!
--C'est possible, car ce qui fait souffrir, ce n'est pas de prendre, mais de ne pas prendre de la morphine.
--Vous voyez bien!
Jean de Fayolle commanda une marquise au champagne, et malgr�� les invitations des camarades et les sourires de Th��r��se et de Luce, Raymond se mit �� sabler des verres d'eau.
Brusquement, la tour d'��b��ne et d'ivoire du major Lapouge s'effondra, et les d��s roul��rent avec fracas sur le marbre.
--Vous ��tes stupide! cria Pontaillac.
--Merci, capitaine... Fort aimable, en v��rit��!
--Pardon, major, pardon, mon ami, je suis tellement ��nerv�� que le moindre bruit m'exasp��re.
--Ah! cette gueuse de morphine! C'est elle qui vous bouleverse!... Pontaillac, vous arriverez �� ��tre tr��s malade!
--Vous vous trompez, major. J'ai besoin de ma piq?re, voil�� tout.
--Prends un verre de champagne, cela vaudra mieux, dit Fayolle.
--Mais oui! mais oui! continu��rent les autres.
--A nos amours, capitaine! soupira Th��r��se.
D'un geste, Raymond ��loigna la main de Luce qui lui tendait une coupe mousseuse, et il parut s'int��resser �� une r��ussite du directeur de la Revue militaire.
Th��r��se avait pris machinalement des journaux illustr��s et contemplait un portrait de Christine Stradowska, la diva illustre, la belle ma?tresse de Pontaillac. Celui-ci, fatigu�� de lutter contre une obsession, s'��tait baiss��, et ayant relev�� son pantalon et un cale?on de soie, venait de se faire �� la jambe une piq?re de morphine.
Comme il se dressait, Luce Molday vit un objet briller dans sa main, et elle s'en empara, tr��s rieuse.
--Eh! la jolie seringuette!
--Donnez-moi ?a?
--Non! non!
Et elle passa au docteur la petite seringue de Pravaz �� laquelle l'aiguille perfor��e adh��rait encore.
--Je ne vous la rendrai pas, capitaine! Je vais l'��craser sous mon talon! vocif��ra Lapouge, debout.
--Ne vous g��nez pas, major; la piq?re est faite. Il y a une autre Pravaz dans ma poche et j'en ai quatorze �� la maison.
Alors, Lapouge observa Pontaillac. Il lui semblait m��tamorphos��, car si pour les autres regards, le capitaine avait conserv��, sous les dehors d'un chagrin amoureux, les apparences d'une verdeur extraordinaire,--seul, l'oeil du major venait de noter les tremblements furtifs du morphinomane. En m��me temps que les yeux perdaient leur inqui��tante fixit��, la voix tout �� l'heure tr��s rauque, sonnait en des vibrations de pur cristal; le geste, tout �� l'heure incertain, comme incertaine la d��marche, le geste retrouvait sa mesure, sa force, son charme.
--Merveilleux! balbutia le major qui n'osait plus d��truire la Pravaz.
Raymond fit les honneurs d'une nouvelle marquise au champagne; il but en vrai gentilhomme. Puis, sur la pri��re de Th��r��se de Roselmont, il dit comment il ��tait devenu morphinomane.
Lors des guerres du Tonkin, nos chirurgiens calmaient les douleurs des bless��s avec des piq?res de morphine, ainsi que jadis les docteurs allemands �� Sadowa et �� Gravelotte.
Un des camarades de Pontaillac, un officier d'artillerie, horriblement mutil��, avait ��t�� soulag�� par la Pravaz, et quand Pontaillac, bless�� en duel, re?ut la visite de l'officier d'artillerie, celui-ci lui vanta la m��thode stup��fiante, les injections hypodermiques de Wood, m��decin anglais: Raymond en usa; il
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