Mon oncle et mon curé; Le voeu de Nadia | Page 2

Alice Cherbonelle
beau zèle, de bourrer ma cervelle de toutes les sciences à lui connues.
Il poursuivit sa tache avec persévérance, quoique je m'entendisse à exercer sa patience. Non pas que j'eusse la tête dure, j'apprenais avec facilité; mais la paresse était mon péché mignon: je l'aimais, je le dorlotais, en dépit des frais d'éloquence du curé et de ses efforts multiples pour extirper de mon ame cette plante de Satan.
Ensuite, et c'était là le point le plus grave, la faculté du raisonnement se développa chez moi rapidement. J'entrais dans des discussions qui mettaient le curé à l'envers; je me permettais des appréciations qui heurtaient et froissaient souvent ses plus chères opinions.
C'était un vif plaisir pour moi de le contredire, de le taquiner, de prendre le contre-pied de ses idées, de ses go?ts, de ses assertions. Cela me fouettait le sang, me tenait l'esprit en éveil. Je soup?onne qu'il éprouvait le même sentiment et qu'il e?t été profondément désolé si j'avais perdu tout à coup mes habitudes ergoteuses et l'indépendance de mes idées.
Mais je n'avais garde, car, lorsque je le voyais se trémousser sur son siège, ébouriffer ses cheveux avec désespoir, barbouiller son nez de tabac en oubliant toutes les règles de la propreté, oubli qui n'avait lieu que dans les cas sérieux, rien n'égalait ma satisfaction.
Cependant, s'il e?t été seul en jeu, je crois que j'aurais résisté quelquefois au démon tentateur. Ma tante avait pris la funeste habitude d'assister aux le?ons, bien qu'elle n'y compr?t rien et qu'elle baillat dix fois par heure.
Or, la contradiction, lors même que sa laide personne n'était pas en scène, la mettait en fureur; fureur d'autant plus grande qu'elle n'osait rien dire devant le curé. Ensuite, me voir discuter lui paraissait une monstruosité dans l'ordre physique et moral. Jamais je ne m'attaquais à elle directement, car elle était brutale et j'avais peur des coups. Enfin, ma voix,--cependant douce et musicale, je m'en flatte!--produisait sur ses nerfs auditifs un effet désastreux.
En cette occurrence, on comprendra qu'il me f?t impossible, absolument impossible, de ne pas mettre en oeuvre ma malice pour faire enrager ma tante et tourmenter mon curé.
Cependant, je l'aimais, ce pauvre curé! je l'aimais beaucoup, et je savais que, en dépit de mes raisonnements saugrenus qui allaient parfois jusqu'à l'impertinence, il avait pour moi la plus grande affection. Je n'étais pas seulement son ouaille préférée, j'étais son enfant de prédilection, son oeuvre, la fille de son coeur et de son esprit. à cet amour paternel se mêlait une teinte d'admiration pour mes aptitudes, mes paroles et mes actes en général.
Il avait pris sa tache à coeur; il avait juré de m'instruire, de veiller sur moi comme un ange tutélaire, malgré ma mauvaise tête, ma logique et mes boutades. Du reste, cette tache était devenue promptement la plus douce chose de sa vie, la meilleure, si ce n'est la seule distraction de son existence monotone.
Par la pluie, le vent, la neige, la grêle, la chaleur, le froid, la tempête, je voyais appara?tre le curé, sa soutane retroussée jusqu'aux genoux et son chapeau sous le bras. Je ne sais si, de ma vie, je l'en ai vu coiffé. Il avait la manie de marcher la tête découverte, souriant aux passants, aux oiseaux, aux arbres, aux brins d'herbe. Replet et dodu, il paraissait rebondir sur la terre qu'il foulait d'un pas alerte, et à laquelle il semblait dire: ?Tu es bonne, et je t'aime!? Il était content de vivre, content de lui-même, content de tout le monde. Sa bonne figure, rose et fra?che, entourée de cheveux blancs, me rappelait ces roses tardives qui fleurissent encore sous les premières neiges.
Quand il entrait dans la cour, poules et lapins accouraient à sa voix pour grignoter quelques cro?tes de pain qu'il avait eu soin de glisser dans sa poche avant de quitter le presbytère. Perrine, la fille de basse-cour, venait lui faire la révérence, puis Suzon, la cuisinière, s'empressait d'ouvrir la porte et de l'introduire dans le salon où nous prenions nos le?ons.
Ma tante, plantée dans un fauteuil avec la grace d'un paratonnerre un peu épais, se levait à son approche, lui souhaitait la bienvenue d'un air maussade et se lan?ait au galop sur le chapitre de mes méfaits. Après quoi, se rasseyant tout d'une pièce, elle prenait un tricot, son chat favori sur ses genoux, et attendait, ou n'attendait pas, l'occasion de me dire une chose désagréable.
Le bon curé écoutait avec patience cette voix rêche qui brisait le tympan. Il arrondissait le dos comme si la mercuriale était pour lui, et me mena?ait du doigt en souriant à moitié. Dieu merci, il connaissait ma tante de longue date.
Nous nous installions à une petite table que nous avions placée près de la fenêtre. Cette position avait pour double avantage de nous tenir assez éloignés de ma tante, qui tr?nait près de la cheminée,
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