Mon amie Nane | Page 2

Paul Jean Toulet
que les choses qui sont exprim��es par le langage, mon amie ne t'aurait offert aucun sens; mais peut-��tre l'eusses-tu jug��e stupide. Car, le plus souvent, ses paroles--que l'ivresse m��me les dictat--ne signifiaient rien, semblables �� des grelots qu'agite un matin de carnaval; et sa cervelle ��tait comme cette mousse qu'on voit se tourner en poussi��re sur les rocs br?lants de l'��t��.
Et pourtant elle a march�� devant moi telle que si ma propre pens��e, ��pousant les nombres o�� la beaut�� est soumise, avait rev��tu un corps glorieux. ��nigme elle-m��me, elle m'a r��v��l�� parfois un peu de la Grande ��nigme: c'est alors qu'elle m'apparaissait comme un microcosme; que ses gestes figuraient �� mes yeux l'ordre m��me et la raison cach��e des apparences o�� nous nous agitons.
En elle j'ai compris que chaque chose contient toutes les autres choses, et qu'elle y est contenue. De m��me que l'ame aromatique de Cern��, un sachet la garde prisonni��re; ou qu'on peut deviner dans un sourire de femme tout le secret de son corps; les objets les plus disparates--Nane me l'enseigna--sont des correspondances; et tout ��tre, une image de cet infini et de ce multiple qui l'accablent de toutes parts.
Car sa chair, o�� tant d'artistes et de voluptueux go?t��rent leur joie, n'est pas ce qui m'a le plus ��pris de Nane la bien model��e. Les courbes de son flanc ou de sa nuque, dont il semble qu'elles aient ob��i au pouce d'un potier sans reproche, la d��licatesse de ses mains, et son front orgueilleusement recourb��, comme aussi ces caresses singuli��res qui inventaient une volupt�� plus vive au milieu m��me de la volupt��, se peuvent d��couvrir en d'autres personnes. Mais Nane ��tait bien plus que cela, un signe ��crit sur la muraille, l'hi��roglyphe m��me de la vie: en elle, j'ai cru contempler le monde.
Non, les ondulations du fleuve Oc��an, ni les noeuds de la vip��re ivre de chaleur qui dort au soleil, toute noire, ne sont plus perfides que ses ��treintes. Du plus beau verger de France, et du plus bel automne, quel fruit te saurait rafra?chir, comme ses baisers d��salt��raient mon coeur? Sache encore que l'architecture de ses membres pr��sente toute l'audace d'une g��om��trie raffin��e; et que, si j'ai observ�� avec soin le rythme de sa d��marche ou de ses abandons, c'��tait pour y embrasser les lois de la sagesse.
Et voici, sous les trois robes du mot, que je te les pr��sente, ? lecteur, pareilles �� des captives d'un grand prix. D��couvre-les, et avec elles le secret de ce livre. Va, ne t'arr��te pas �� la trivialit�� des fables, au vide des paroles, ni �� ce qu'on nomme: l'ironie des opinions. L��ve un voile, un voile encore; il y a toujours, sous un symbole, un autre symbole. Mais pour toi seul qui le savais d��j��, puisqu'on enseigne aux hommes cette v��rit��-l�� seulement que d'avance ils portaient dans leur ame.
S'il t'ennuie toutefois de p��n��trer aussi avant, tu pourras te r��cr��er aux choses qui sont ici ��crites touchant l'amour. Ne crois pas, au moins, que celui-l�� e?t m��rit�� le m��pris, qui aurait aim�� mon amie tout simplement. Car il y a une religion au fond de l'amour, comme du savoir. Et la volupt�� elle-m��me a ses myst��res.
En cas que tu n'y veuilles souscrire, j'��voquerai pour toi,--par un apr��s-midi d'ao?t, tandis que le soleil ��clate et d��vore l'ombre bleue au pied des murs,--l'alc?ve o�� mon amie, lasse de rayons et lasse d'aimer, repose dans le silence. Parfois elle soul��ve les paupi��res; et tu verrais alors palpiter la lumi��re de ses yeux, comme un ��clair de chaleur au fond de la nuit.

I
Les Sir��nes
?At tuba, terribili sonitu, taratantara dixit.?
(ENNIUS, Annal.)
C'��tait des cris dont on demeurait ��tonn��; un airain aigre, retentissant, qui, dans la nuit faisait: Ho?o?o?o?....
A cette ��poque mon amie Nane ��tait presque une inconnue pour moi, bien loin de m'appartenir en propre. A vrai dire, et dans la suite m��me, je n'ai jamais recherch�� le monopole de sa tendresse. N'e?t-ce pas ��t�� de l'��go?sme? Outre qu'il en faudrait avoir les moyens.
A cette ��poque donc, Nane passait pour ��tre la propri��t�� exclusive de B��lesbat, le Hautfournier. Cet industriel, qui crevait sous lui de chiffres et de plans les ing��nieurs les plus endurcis; dont l'ame tout arithm��tique aurait ramen�� aux quatre op��rations la beaut��, l'h��ro?sme, la haine m��me, ne d��daignait pas toujours d'acqu��rir des choses gracieuses, encore qu'inutiles. En fait Nane lui ��tait d'aussi peu de produit qu'un buisson de roses, un hamac, une habanera; et l'on ignorera toujours pourquoi il conservait une employ��e aussi co?teuse. Peut-��tre que cette v��g��tative idole, languissant sous l'��corce des soies et les pierres de ses colliers barbares, le consolait d'��tre lui-m��me aussi fi��vreusement mal v��tu. Peut-��tre qu'il aimait �� voir reluire dans ses yeux mordor��s les reflets inestimables de l'or, et peut-��tre encore qu'il l'avait lou��e simplement comme une enseigne �� sa richesse.
Au moins n'��tait-elle pas son
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