grâce à 
son industrie, le philosophe de là-haut entendit parfaitement le 
bourdonnement de nos insectes de là-bas. En peu d'heures il parvint à 
distinguer les paroles, et enfin à entendre le français. Le nain en fit 
autant, quoique avec plus de difficulté. L'étonnement des voyageurs
redoublait à chaque instant. Ils entendaient des mites parler d'assez bon 
sens: ce jeu de la nature leur paraissait inexplicable. Vous croyez bien 
que le Sirien et son nain brûlaient d'impatience de lier conversation 
avec les atomes; le nain craignait que sa voix de tonnerre, et surtout 
celle de Micromégas, n'assourdît les mites sans en être entendue. Il 
fallait en diminuer la force. Ils se mirent dans la bouche des espèces de 
petits cure-dents, dont le bout fort effilé venait donner auprès du 
vaisseau. Le Sirien tenait le nain sur ses genoux, et le vaisseau avec 
l'équipage sur un ongle; il baissait la tête et parlait bas. Enfin, 
moyennant toutes ces précautions et bien d'autres encore, il commença 
ainsi son discours: 
Insectes invisibles, que la main du Créateur s'est plu à faire naître dans 
l'abîme de l'infiniment petit, je le remercie de ce qu'il a daigné me 
découvrir des secrets qui semblaient impénétrables. Peut-être ne 
daignerait-on pas vous regarder à ma cour; mais je ne méprise personne, 
et je vous offre ma protection. 
Si jamais il y eut quelqu'un d'étonné, ce furent les gens qui entendirent 
ces paroles. Ils ne pouvaient deviner d'où elles partaient. L'aumônier du 
vaisseau récita les prières des exorcismes, les matelots jurèrent, et les 
philosophes du vaisseau firent des systèmes; mais quelque système 
qu'ils fissent, ils ne purent jamais deviner qui leur parlait. Le nain de 
Saturne, qui avait la voix plus douce que Micromégas, leur apprit alors 
en peu de mots à quelles espèces ils avaient affaire. Il leur raconta le 
voyage de Saturne, les mit au fait de ce qu'était M. Micromégas; et 
après les avoir plaints d'être si petits, il leur demanda s'ils avaient 
toujours été dans ce misérable état si voisin de l'anéantissement, ce 
qu'ils fesaient dans un globe qui paraissait appartenir à des baleines, 
s'ils étaient heureux, s'ils multipliaient, s'ils avaient une âme, et cent 
autres questions de cette nature. 
Un raisonneur de la troupe, plus hardi que les autres, et choqué de ce 
qu'on doutait de son âme, observa l'interlocuteur avec des pinnules 
braquées sur un quart de cercle, fit deux stations, et à la troisième il 
parla ainsi: Vous croyez donc, monsieur, parceque vous avez mille 
toises depuis la tête jusqu'aux pieds, que vous êtes un..... Mille toises!
s'écria le nain: juste ciel! d'où peut-il savoir ma hauteur? mille toises! il 
ne se trompe pas d'un pouce: quoi! cet atome m'a mesuré! il est 
géomètre, il connaît ma grandeur; et moi, qui ne le vois qu'à travers un 
microscope, je ne connais pas encore la sienne! Oui, je vous ai mesuré, 
dit le physicien, et je mesurerai bien encore votre grand compagnon. La 
proposition fut acceptée; son excellence se coucha de son long; car, s'il 
se fût tenu debout, sa tête eût été trop au-dessus des nuages. Nos 
philosophes lui plantèrent un grand arbre, dans un endroit que le 
docteur Swift nommerait, mais que je me garderai bien d'appeler par 
son nom, à cause de mon grand respect pour les dames. Puis, par une 
suite de triangles liés ensemble, ils conclurent que ce qu'ils voyaient 
était en effet un jeune homme de cent vingt mille pieds de roi. 
[1] L'édition que je crois l'originale, porte: un beau jeune... de cent 
vingt mille pieds de roi. B. 
Alors Micromégas prononça ces paroles: Je vois plus que jamais qu'il 
ne faut juger de rien sur sa grandeur apparente. O Dieu! qui avez donné 
une intelligence à des substances qui paraissent si méprisables, 
l'infiniment petit vous coûte aussi peu que l'infiniment grand; et s'il est 
possible qu'il y ait des êtres plus petits que ceux-ci, ils peuvent encore 
avoir un esprit supérieur à ceux de ces superbes animaux que j'ai vus 
dans le ciel, dont le pied seul couvrirait le globe où je suis descendu. 
Un des philosophes lui répondit qu'il pouvait en toute sûreté croire qu'il 
est en effet des êtres intelligents beaucoup plus petits que l'homme. Il 
lui conta, non pas tout ce que Virgile a dit de fabuleux sur les abeilles, 
mais ce que Swammerdam a découvert, et ce que Réaumur a disséqué. 
Il lui apprit enfin qu'il y a des animaux qui sont pour les abeilles ce que 
les abeilles sont pour l'homme, ce que le Sirien lui-même était pour ces 
animaux si vastes dont il parlait, et ce que ces grands animaux sont 
pour d'autres substances devant lesquelles ils ne paraissent que comme 
des atomes. Peu-à-peu la conversation devint intéressante, et 
Micromégas parla ainsi: 
 
CHAPITRE VII.
Conversation avec les hommes. 
O atomes intelligents, dans    
    
		
	
	
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