Mesure pour mesure | Page 2

William Shakespeare
LE COUDE[2], officier
de police. L'ÉCUME[3], jeune fou. UN PAYSAN BOUFFON,
domestique de madame Overdone. ABHORSON, bourreau.
BERNARDINO, prisonnier débauché. ISABELLE, soeur de Claudio.
MARIANNE, fiancée à Angelo. JULIETTE, maîtresse de Claudio.
FRANCESCA, religieuse. MADAME OVERDONE, entremetteuse.
Des Seigneurs, des Gentilshommes, des Gardes, des Officiers, etc.
[Note 1: Varrius pouvait être omis, on lui adresse bien la parole, mais
c'est un personnage muet.]
[Note 2: Elbow.]
[Note 3: Froth.]
La scène est à Vienne.

ACTE PREMIER

SCÈNE I
Appartement du palais du duc.
LE DUC, ESCALUS, SEIGNEURS et suite.
LE DUC.--Escalus!
ESCALUS.--Seigneur!
LE DUC.--Vouloir vous expliquer les principes de l'administration
paraîtrait en moi une affectation vaine et discours inutiles, puisque je
sais que vos propres connaissances dans l'art de gouverner surpassent
tous les conseils et les instructions que pourrait vous donner mon
expérience. Il ne me reste donc qu'un mot à vous dire: votre capacité
égalant votre vertu, laissez-les agir ensemble et de concert[4]. Le
caractère de notre population, les lois de notre cité, les formes de la
justice sont des matières que vous possédez à fond, autant qu'aucun
homme instruit par l'art et la pratique que nous nous rappelions. Voilà
notre commission, dont nous ne voudrions pas vous voir vous
écarter.--(A un domestique.) Allez dire à Angelo de se rendre
ici.--Quelle opinion avez-vous de sa capacité pour nous remplacer? Car
vous savez que nous l'avons choisi avec un soin particulier pour nous
représenter dans notre absence, que nous l'avons armé de toute la
puissance de notre autorité, revêtu de tout l'empire de notre amour, et
que nous lui avons transmis enfin par sa commission tous les organes
de notre pouvoir. Qu'en pensez-vous?
[Note 4: Les commentateurs ont trouvé ici une lacune qu'ils n'ont pu
remplir.]
ESCALUS.--S'il est dans Vienne un homme digne d'être revêtu d'un si
grand honneur, et de si hautes fonctions, c'est le seigneur Angelo.
(Entre Angelo.)
LE DUC.--Le voilà qui vient.

ANGELO.--Toujours soumis aux volontés de Votre Altesse, je viens
savoir vos ordres.
LE DUC.--Angelo, votre vie présente un certain caractère où l'oeil
observateur peut lire à fond toute votre histoire. Votre personne et vos
talents ne sont pas tellement votre propriété que vous puissiez vous
consacrer entièrement à vos vertus, et les consacrer à votre avantage
personnel. Le ciel se sert de nous comme nous nous servons des torches:
ce n'est pas pour elles-mêmes que nous les allumons; et si nos vertus
restaient ensevelies dans notre sein, ce serait comme si nous ne les
avions pas. La nature ne forme les âmes grandes que pour de grands
desseins; jamais elle ne communique une parcelle de ses dons que
comme une déesse intéressée qui retient pour elle l'honneur d'un
créancier, en exigeant l'intérêt et la reconnaissance. Mais j'adresse mes
réflexions à un homme qui peut trouver en lui-même toutes les
instructions que ma place m'obligerait de lui donner. Tenez donc,
Angelo. Pendant notre absence, soyez en tout comme nous-même. La
vie et la mort dans Vienne reposent sur vos lèvres et dans votre coeur.
Le respectable Escalus, quoique le premier nommé, est votre
subordonné. Prenez votre commission.
ANGELO.--Mon noble duc, attendez que le métal dont je suis fait ait
subi une plus longue épreuve avant d'y imprimer une si noble et si
auguste image.
LE DUC.--Ne cherchez point de prétextes: ce n'est qu'après un choix
bien mûr et bien réfléchi que nous vous avons nommé: ainsi, acceptez
les honneurs que je vous confère. Les motifs qui pressent notre départ
sont si impérieux qu'ils se placent au-dessus de toute autre
considération, et ne me laissent pas le temps de parler sur des objets
importants. Nous vous écrirons, suivant l'occasion et nos affaires,
comment nous nous trouverons; et nous comptons bien être au courant
de ce qui vous arrivera ici. Adieu; je vous laisse tous deux avec
confiance au soin de remplir les devoirs de vos fonctions.
ANGELO.--Mais du moins, accordez-nous, seigneur, la permission de
vous accompagner jusqu'à une certaine distance.

LE DUC.--Je suis trop pressé pour vous le permettre; et, sur mon
honneur, vous n'avez pas besoin d'avoir de scrupule: ma puissance est
la mesure de la vôtre; vous pouvez renforcer ou adoucir la rigueur des
lois, selon que votre conscience le trouvera bon. Donnez-moi la main.
Je veux partir secrètement: j'aime mon peuple; mais je n'aime pas à me
donner en spectacle à ses yeux. Quoique ses applaudissements soient
flatteurs, je n'ai point de goût pour le bruit et les saluts retentissants de
la multitude; et je ne crois pas que le prince qui les recherche agisse
avec prudence et... Encore une fois, adieu.
ANGELO.--Que le ciel assure l'exécution de vos desseins!
ESCALUS.--Qu'il conduise vos pas, et vous ramène heureux!
LE DUC.--Je vous remercie, adieu.
(Le duc sort.)
ESCALUS, à Angelo.--Je vous prie, monsieur, de m'accorder une heure
de libre entretien avec vous; il m'importe beaucoup d'approfondir tous
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