venaient, 
m'apportaient des pralines et autres gâteries; mais moi, sitôt que je les 
voyais descendre de voiture, comme un sauvageon que j'étais, je 
courais tout de suite me cacher dans le fenil... Et la pauvre Délaïde de 
crier: 
-- Frédéric! 
Mais en vain: dans le foin, blotti et ne soufflant mot, j'attendais, moi, 
d'entendre les roues de la voiture emporter le marquis, pendant que ma
mère clamait, là-bas, devant la ferme: 
-- M. de Barbentane, Mme de Barbentane, qui venaient pour le voir, cet 
insupportable, et il va se cacher! 
Et au lieu de dragées, quand je sortais ensuite, craintif, de ma tanière, 
vlan! j'avais ma fessée. 
J'aimais bien mieux aller avec le Papoty, notre maître-valet, quand, 
derrière la charrue tirée par ses deux mules, les mains au mancheron, il 
me criait, patelin: 
-- Petiot, viens vite, viens. Je t'apprendrai à labourer. 
Et tout de suite, nu-pieds, nu-tête, émoustillé, me voilà dans le sillon, 
trottinant, farfouillant, le long de la tranchée, pour cueillir les 
primevères ou les muscaris bleus, que le soc arrachait. 
-- Ramasse des colimaçons, me disais le Papoty. 
Et quand j'avais les colimaçons, une poignée dans chaque main: 
-- Maintenant, me faisait-il, avec les colimaçons, tiens, empoigne les 
cornes du manche de la charrue. 
Et comme, moi crédule, avec mes petits doigts, je prenais les 
mancherons, lui, pressant de ses doigts rudes mes deux mains pleines 
d'escargots qui s'écrabouillaient dans ma chair: 
-- A présent, me disait le valet de labour en riant aux éclats, tu pourras 
dire, petit, que tu as tenu la charrue! 
On m'en faisait, ma foi, de toutes les couleurs. C'est ainsi que, dans les 
fermes, on déniaise les enfants. Quelquefois, en venant de traire, notre 
berger Rouquet me criait: 
-- Viens, petit, boire à même dans le piau. 
Le piau est l'ustensile, de poterie ou de bois, dans lequel on trait le lait... 
Ah! quand je voyais le trayeur, suant, les bras troussés, sortir de la 
bergerie en portant à la main le vase à traire écumant, plein de lait 
jusqu'aux bords, j'accourais, affriolé, pour le humer tout chaud. Mais, 
sitôt qu'à genoux je m'abreuvais à la "seille", paf! de sa grosse main, 
Rouquet m'y faisait plonger la tête jusqu'au cou; et, barbotant, aveugle, 
les cheveux et le museau ruisselants, ébouriffés, je courais, comme un 
jeune chien, me vautrer dans l'herbe et m'y essuyer, en jurant, à part 
moi, qu'on ne m'y attraperait plus... jusqu'à nouvelle attrape. 
Après, c'était un faucheur qui me disait: 
-- Petiot, j'ai trouvé un nid, un nid de _frappe-talon_; veux-tu me faire 
la courte échelle? Je garderai la mère et tu auras les passereaux.
Oh! coquin. Je partais, fou de joie, dans l'andain. 
-- Le vois-tu, me faisait l'homme, ce creux, en haut de ce gros saule; 
c'est là qu'est le nid... Allons, courbe-toi. 
Et je m'inclinais, la tête contre l'arbre, et alors, faisant mine de grimper 
sur mon dos, le farceur me battait l'échine du talon. 
C'est ainsi que commença, au milieu des gouailleries de nos travailleurs 
des champs (et je n'an ai point regret), mon éducation d'enfance. 
Comme il était gai, ce milieu de labeurs rustiques! Chaque saison 
renouvelait la série des travaux. Les labours, les semailles, la tonte, la 
fauche, les vers à soie, les moissons, le dépiquage, les vendanges et la 
cueillette des olives, déployaient à ma vue les actes majestueux de la 
vie agricole, éternellement dure, mais éternellement indépendante et 
calme. 
Tout un peuple de serviteurs, d'hommes loués au mois ou à la journée, 
de sarcleuses, de faneuses, allait, venait dans les terres du Mas, qui 
avec l'aiguillon, qui avec le râteau ou bien la fourche sur l'épaule, et 
travaillant toujours avec des gestes nobles, comme dans les peintures 
de Léopold Robert. 
Quand, pour dîner ou pour souper, les hommes, l'un après l'autre, 
entraient dans le Mas, et venaient s'asseoir, chacun selon son rang, 
autour de la grande table, avec mon seigneur père qui tenait le haut 
bout, celui-ci, gravement, leur faisait des questions et des observations, 
sur le troupeau et sur le temps et sur le travail du jour, s'il était 
avantageux, si la terre était dure ou molle ou en état. Puis, le repas fini, 
le premier charretier fermait la lame de son couteau et, sur le coup, tous 
se levaient. 
Tous ces gens de campagne, mon père les dominait par la taille, par le 
sens, comme aussi par la noblesse. C'était un beau et grand vieillard, 
digne dans son langage, ferme dans son commandement, bienveillant 
au pauvre monde, rude pour lui seul. 
Engagé volontaire pour défendre la France, pendant la Révolution, il se 
plaisait, le soir, à raconter ses vieilles guerres. Au fort de la Terreur, il 
avait été requis pour porter du blé à Paris, ou régnait la famine. C'était 
dans l'intervalle où l'on avait tué le roi. La France,    
    
		
	
	
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