Marcof le Malouin | Page 9

Ernest Capendu
pas.
--Mais il m'aime, lui!
--Eh bien! qu'il vienne me trouver, nous réglerons la chose ensemble!...
--Ne dites pas cela, Jahoua, s'écria vivement la jeune fille.
--Calmez-vous, chère Yvonne! je ferai ce que vous voudrez. Mais ne vous occupez plus de Keinec, par grace! Songez plut?t à votre père, que la tempête aura si fort tourmenté! Quelle sera sa joie en vous revoyant saine et sauve! Dans une demi-heure nous serons près de lui. Tenez! voici ma jument grise qui nous attend...
Les deux jeunes gens, en effet, étaient arrivés devant la porte d'une sorte de grange située au milieu du village. Un paysan bas-breton tenait les rênes d'une belle bête des Pointes de la Coquille, achetée à la dernière foire de la Martyre.
Jahoua aida Yvonne à monter sur une grosse pierre. Lui-même s'élan?a sur le cheval, et, contraignant l'animal à s'approcher de la pierre, il prit Yvonne en croupe. La jolie Bretonne passa ses bras autour de la taille de son fiancé, et tous les deux gagnèrent rapidement la campagne. Ils se dirigeaient vers le petit village de Fouesnan, qu'habitait le père d'Yvonne.

IV
LE CHEMIN DES PIERRES-NOIRES.
La fureur de la tempête arrivait à son déclin. La nuit était sombre encore, mais les nuages, déchirés par la rafale, permettaient de temps à autre d'apercevoir un coin du ciel bleu éclairé par le scintillement de quelques étoiles. Les feux de la Saint-Jean, allumés sur tous les points de la campagne, formaient une illumination pittoresque.
En sortant de Penmarckh, les deux jeunes gens s'engagèrent dans un sentier encaissé et bordé d'un rideau d'ajoncs entremêlés de chênes séculaires. Ce sentier se nommait le chemin des Pierres-Noires. Il devait cette dénomination à des vestiges de monuments druidiques noircis par le temps, qui s'élevaient à une petite distance de Penmarckh, et auxquels il conduisait.
Au moment où Jahoua et Yvonne, batissant projets sur projets, négligeaient le présent pour ne songer qu'à l'avenir, un homme, traversant la campagne en ligne droite, gagnait rapidement le chemin creux. Cet homme était Keinec, qui, son fusil en bandoulière, son pen-bas à la main, courait sur les roches avec l'agilité d'un chamois. En quelques minutes, il eut atteint la crête du talus qui bordait le sentier. Là, il se coucha à plat-ventre. écartant sans bruit et avec des précautions infinies les branches épineuses des ajoncs, il prêta l'oreille d'abord, puis ensuite il avan?a lentement la tête. Il entendit les sabots de la jument grise de Jahoua résonner sur les pierres du chemin, et il vit venir de loin, à travers l'ombre, les deux amoureux. Alors se relevant d'un bond, prenant ses sabots à la main, il courut parallèlement au sentier jusqu'à un endroit où celui-ci décrivait un coude pour s'enfoncer dans les terres. Les ajoncs, plus épais, formaient un rideau impénétrable. Keinec les élagua avec son couteau. Cela fait, il planta en terre une petite fourche, et appuyant sur cette fourche le canon de sa carabine, il attendit:
Yvonne et Jahoua riaient en causant. A mesure qu'ils avan?aient dans le pays, les feux allumés pour la Saint-Jean devenaient de plus en plus distincts. Les montagnes et la plaine offraient le coup d'oeil féerique d'une splendide illumination.
--Voyez-vous, ma belle Yvonne? Notre-Dame de Groix a eu pitié de nous; elle nous a sauvés de la tempête. Elle a calmé l'orage pour que nous puissions achever la route sans danger.
--La première fois que nous retournerons à Groix, il faudra faire présent à Notre-Dame d'une pièce de toile fine pour son autel, répondit la jeune fille.
--Nous la lui porterons ensemble aussit?t après notre mariage.
--Ah! prenez donc garde! votre jument vient de butter!
--C'est qu'elle a glissé sur une roche. Mais voilà que nous atteignons le coude du sentier, et de l'autre c?té, la chaussée est meilleure.
Les deux jeunes gens approchaient en effet de l'endroit où Keinec se tenait embusqué. La crosse de la carabine solidement appuyée sur son épaule, le doigt sur la détente, dans une immobilité absolue, Keinec était prêt à faire feu.
Les voyageurs s'avan?aient en lui faisant face. Mais la jument grise allait à petits pas; elle s'arrêtait parfois, et Jahoua ne songeait guère à lui faire hater sa marche.
De la main gauche, le malheureux Keinec labourait sa poitrine que déchiraient ses ongles crispés. Enfin le moment favorable arriva. Keinec voulut presser la détente, mais sa main demeura inerte, un nuage passa sur ses yeux. Sa tête s'inclina lentement sur sa poitrine. Puis, par une réaction puissante, il revint à lui soudainement. Mais les deux jeunes gens étaient passés, et c'était maintenant Yvonne qu'il allait frapper la première. Deux fois Keinec la coucha en joue. Deux fois sa main tremblante releva son arme inutile.
--Oh! je suis un lache! murmura-t-il avec rage.
Et Keinec se relevant et prenant sa course, bondit sur la falaise pour devancer de nouveau les deux promis. Les pauvres jeunes gens continuaient gaiement leur route, ignorant que la mort f?t
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