Marchand de Poison | Page 2

Georges Ohnet
On n'emp��che pas de boire celui qui a soif. Et qu'est-ce que ?a fait que ce soit l'un ou l'autre qui en profite?? Il ne s'expliquait pas sur la question des poisons qui formaient la base de son breuvage. Il ��tait ��tabli, pour lui, que tous les commer?ants se livraient aux m��mes proc��d��s de fabrication. Il n'y avait donc pas �� se pr��occuper de la moralit�� du n��goce, qui ��tait infame par destination. Il eut cependant quelques petits ennuis qui auraient pu lui ouvrir les yeux sur la r��gularit�� de ses op��rations s'il n'avait pas ��t�� d��cid�� �� rejeter tout scrupule.
Il rentrait, depuis quelques semaines, �� la caserne, de l'��cole, tant de soldats dans des ��tats d'abrutissement ou de fureur d'un caract��re si morbide, que le m��decin-major, qui ne p��chait cependant pas par exc��s de soin, s'inqui��ta et crut devoir faire une enqu��te sur les d��bits dans lesquels fr��quentaient les hommes qui pr��sentaient ces sympt?mes d'empoisonnement alcoolique. Les adjudants interrog��s furent tous d'accord pour d��signer le caf�� de l'avenue de Tourville, o�� tr?nait, en bras de chemise, le tablier noir du mastroquet sur le ventre, le distillateur Vernier. Le major se lit apporter une bouteille du ?Prunelet? au nom engageant et �� l'apparence d��bonnaire, qui ravageait ainsi les cerveaux des hommes de la classe, et, se d��fiant de ses facult��s d'analyse, il envoya purement et simplement le liquide au Laboratoire municipal, avec une apostille du colonel.
Le r��sultat ne se fit pas attendre. Le rapport de l'expert fut foudroyant, comme la liqueur elle-m��me. Les substances les plus nocives ��taient m��lang��es dans l'ap��ritif Vernier-Mareuil, avec une audace qui ressemblait �� de la candeur. On aurait pr��cipit�� un homme sain et vigoureux dans l'��pilepsie, en peu de temps, avec un produit moins compliqu��. Il y avait exag��ration dans l'empoisonnement. Une descente de police eut lieu dans la cave o�� le brave gar?on composait sa liqueur. On trouva un mat��riel bien simple: un coquemard en fonte, un alambic, un fourneau, de l'alcool et des poudres. Le tout n'emplit pas une petite charrette �� bras. Sainte-Anne ��tait d��j�� peupl��e de plus d'ali��n��s dus �� Vernier que son mat��riel ne pesait de d��cigrammes.
Traduit en police correctionnelle, le d��linquant fit preuve d'une telle douceur, exprima de tels regrets que les juges crurent �� son inconscience. Il fit, comme pendant le reste de sa vie, aux heures les plus difficiles, la meilleure impression. Il avait re?u du ciel le masque d'un honn��te homme et une voix persuasive. Il n'en faut pas plus, dans des temps o�� la vertu est rare, pour parvenir, avec les actions les plus abominables sur la conscience, aux plus hautes situations.
De sa premi��re rencontre avec la justice de son pays, Vernier se tira avec cinq cents francs d'amende et l'affichage du jugement �� la porte de son ��tablissement. Il poussa un ouf de satisfaction. Son avocat--car il s'��tait fait d��fendre; c'est sans doute ce qui lui valut d'��tre condamn��--lui avait laiss�� entrevoir six mois de prison. Il rentra donc avenue de Tourville avec la tranquillit�� d'un homme qui se consid��re comme innocent��, puisqu'on ne l'a pas jet�� sous les verrous. Il protesta de la puret�� de ses intentions �� l'��gard de l'arm��e fran?aise, laissa entendre que le major ��tait un ane. Mais il changea de mixture, supprima les poudres et augmenta le degr�� d'alcool.
Sa client��le doubla. On e?t dit que, depuis qu'il ��tait av��r�� que Vernier assassinait ses pratiques, l'engouement pour sa liqueur se f?t accru, comme si ce flot de buveurs qui roulait devant son comptoir se pr��cipitait, de son plein gr��, �� la d��mence et �� la mort. Vainement de nouveaux ��chantillons avaient ��t�� pr��lev��s sur ses produits, par la rancune en ��veil du major. Ils ne contenaient plus rien de nuisible que de l'alcool qui corrodait la t?le des tables et br?lait le drap des uniformes. Mais c'��tait de la production courante. Et, �� moins de consigner l'��tablissement, il n'y avait rien �� faire.
Cependant Vernier voyait prosp��rer son commerce. Il ��tait b��ni par la Providence comme s'il eut fait le bien. Son orgueil n'en ��tait pas enfl��. Mais il songeait au moyen de d��cupler ses capitaux. C'est alors qu'il se trouva en rapport avec l'homme qui devait donner �� son industrie morticole toute l'extension qu'elle m��ritait de prendre pour le malheur de l'humanit��. Il rencontra Mareuil. Celui-ci ��tait un boh��me qui battait le pav�� de Paris, continuellement �� la recherche des dix francs qu'il lui fallait pour vivre avec sa soeur, dans un petit appartement des Batignolles. Maigre, noir, hableur comme un bon m��ridional, il avait essay�� de tout, m��me de la litt��rature, sans parvenir �� se faire une place. Il ne r��pugnait �� aucune tache, pourvu qu'elle f?t r��tribu��e.
Cependant il ��tait honn��te et n'aurait pas pris un centime �� son prochain, �� moins que ce ne f?t en traitant une
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