de sa carnation que 
par la régularité de ses traits, douée d'un léger embonpoint et dans une 
toilette des plus exagérées, sortit en ce moment de la cabine d'arrière. 
Elle vint à nous, et, s'adressant à Dubertet: 
--Hector, lui dit-elle, cet embarquement se fait sans aucun ordre. On a 
fourré les caisses qui contiennent mes effets à fond de cale. C'est 
insupportable! Je ne puis cependant pas garder la toilette que j'ai sur 
moi pendant toute la traversée. 
--Ma chère Sylvie, calmez-vous, lui répondit mon ami, je vais donner 
des ordres pour que vos chiffons vous soient rendus. 
--Bien, dit-elle. Et, reportant les yeux sur moi, elle me toisa de la tête 
aux pieds, comme si j'eusse été à l'inspection. 
--Pierre Haudouin de Coulanges, mon ami intime, lui dit Dubertet en 
me présentant. 
Je la saluai respectueusement. Elle me fit une révérence assez gauche et 
disparut. 
--Dubertet, tu ne m'avais pas dit que tu fusses marié? 
--Je n'ai pas plus de secret pour toi que tu n'en as pour moi. Je puis te 
confier la vérité! Sylvie est ma maîtresse, mais je la fais passer pour ma 
femme afin de pouvoir l'emmener avec moi. C'est une fille bonne et 
dévouée, qui serait morte de chagrin si je l'avais laissée. Il y a deux ans 
que nous vivons ensemble, et nous nous aimons comme au premier
jour. 
--Elle paraît un peu impatiente? 
--C'est le déplacement, l'ennui du voyage, qui la rendent nerveuse. 
Depuis trois mois, nous avons été toujours en l'air. 
--C'est à Paris que tu l'as connue? 
--Oui, elle était au théâtre de la Montansier, et y jouait de petits rôles. 
J'ai soupiré longtemps, car c'était une vertu. Son père est un 
commerçant de la rue Saint-Denis. Elle a quitté sa famille par amour de 
l'art, et, si elle n'a pas pu percer, c'est un peu la faute de sa sagesse. Tu 
sais, dans cette carrière-là, une jolie femme ne réussit qu'autant qu'elle 
sait plaire à tout le monde. 
Il me parla encore longtemps de mademoiselle Sylvie avec la loquacité 
d'un homme radicalement subjugué. 
Le 26 mai, à six heures du soir, notre frégate, précédée des bricks et des 
soixante-dix transports du convoi de Civita-Vecchia, allait lever l'ancre, 
quand un canot amena de nouveaux passagers. C'était d'abord un 
homme déjà mûr, avec des ailes de pigeon et une queue à la prussienne, 
puis une grande jeune fille, très-belle, très-blonde et très-bien mise, qui 
donnait la main à un garçon de douze à treize ans. 
Le commandant, qui n'attendait plus personne, s'avança vers eux d'un 
air interrogateur. 
Le monsieur aux ailes de pigeon se nomma. 
--De Cérignan, dit-il, attaché à l'administration des guerres; et, 
présentant ses compagnons: «Olympe de Cérignan, ma fille, et Louis de 
Cérignan, mon fils.» 
Puis il sortit de sa poche une lettre cachetée de rouge et la remit au 
commandant en disant: 
--De la part du citoyen Cambacérès.
Le capitaine lut la lettre, salua respectueusement l'employé du ministère 
de la guerre, et lui fit donner une cabine pour lui et ses enfants. 
On prit la mer. 
Mademoiselle de Cérignan et mademoiselle Sylvie, qu'on appelait 
madame Dubertet, furent bien vite le but des hommages de MM. les 
officiers du bord. Pendant une traversée, il n'y a rien de mieux à faire 
que de roucouler près du beau sexe, quand on n'est pas malade. 
Je ne l'étais pas, et pourtant je m'occupai peu de ces dames. L'idée 
d'aller sur les brisées de mon ami ne m'était même pas venue. J'aurais 
bien soupiré pour la belle blonde aux manières de duchesse si je n'avais 
eu autre chose en tête: apprendre l'arabe. 
Dès le lendemain de notre départ, il signor Fosco, un des imprimeurs de 
la Compagnie Dubertet, s'était fait fort de me l'enseigner. Je l'étudiai 
avec acharnement, et, comme il m'était bien montré, je fis de rapides 
progrès pendant les cinq semaines que dura le voyage. 
Nous dînions tous à la même table; je fus à même d'observer la famille 
de Cérignan. La fille dissimulait mal son antipathie pour la république 
et son mépris pour les républicains. Le fils était un joli enfant blond et 
pâle, avec des yeux à fleur de tête. Il semblait souffreteux, un peu ahuri, 
sinon hébété; aussi son père et sa soeur ne le laissaient jamais seul. Il 
était très-craintif, et tremblait devant M. de Cérignan comme s'il eût 
craint d'être maltraité. M. de Cérignan était cependant très-doux pour 
lui, n'élevait jamais la voix et ne le reprenait sur rien. C'était un 
voltairien de l'ancienne cour. S'il regrettait au fond du coeur la 
monarchie, il avait la prudence de n'en rien laisser voir. La seule chose 
dont il se plaignît, c'était de n'avoir plus vingt ans. 
Nous étions en vue de l'île de Malte le 17 prairial (5 juin), devant 
laquelle nous restâmes en croisière. Quatre jours    
    
		
	
	
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