Mademoiselle Clocque | Page 2

René Boylesve
que le lendemain m��me de l'entrevue. Des femmes lui avaient confi�� l'aveu de pareils d��sirs irr��sistibles ��prouv��s vis-��-vis de certains hommes c��l��bres; quelques-unes ��taient all��es jusqu'�� la porte de M. Alexandre Dumas fils; et une de ses amies, de Tours m��me, avait tir�� le cordon de la sonnette de Mounet-Sully, mais ��tait redescendue quatre �� quatre. Mlle Cloque clignait des yeux, disant �� part soi: ?Moi j'ai pouss�� jusqu'au bout... et c'��tait Chateaubriand!?

II
LA MAISON DE LA RUE DE LA BOURDE
Mlle Cloque habitait une petite maison de la rue de la Bourde, derri��re les Halles et les ruines de l'��glise Saint-Cl��ment qui tenaient encore debout �� cette ��poque. La rue de la Bourde n'��tait qu'un passage assez ��troit allant des March��s couverts �� une caserne de chasseurs �� pied; elle formait un boyau sombre et tortueux entre de tr��s hauts murs de jardins ou de pauvres logements. Il y avait en face de chez Mlle Cloque un savetier que l'on voyait travailler �� toute heure derri��re sa rang��e de chaussures ressemel��es, sans que l'on p?t savoir �� quel moment ce diable d'homme prenait ses repas ou se reposait. Un peu plus bas, et enclav��, pour des raisons inconnues, dans ce quartier quasi indigent, se trouvait un assez bel h?tel particulier appartenant �� M. le marquis d'Aubrebie, petit vieillard assez spirituel et dont la femme ��tait folle. M. d'Aubrebie et sa voisine Mlle Cloque ne s'entendaient sur aucun point, mais se voyaient assid?ment. Il ne se passait gu��re de journ��e sans qu'on p?t les apercevoir de la rue, l'un en face de l'autre, �� une petite table de jeu o�� ils faisaient r��guli��rement et successivement deux parties de b��sigue et une partie de dames ou deux, selon que la marquise, qui ne quittait point son h?tel, agitait un mouchoir �� sa fen��tre, ou consentait �� rester tranquille. La pauvre femme, d'une famille ultra-l��gitimiste, et dont le cerveau avait toujours ��t�� d��bile, avait perdu la raison en 1873, au moment o�� s'agita et se r��solut d'une mani��re irr��vocable la question de la restauration de la royaut��. Quand son mari n'��tait pas pr��s d'elle, elle le confondait avec le roi absent, se lamentait, et faisait monter les domestiques pour leur demander s'ils pensaient que cette p��riode d'anarchie p?t durer longtemps, enfin s'impatientait jusqu'�� faire �� la fen��tre, du c?t�� de l'exil, des signaux d��sesp��r��s �� l'aide d'un mouchoir qu'elle croyait ��tre un drapeau blanc. Mlle Cloque, l'oeil aux aguets, pr��venait le marquis. Il interrompait la partie et rentrait m��lancoliquement. C'��tait le r��tablissement de la monarchie.
Et Mlle Cloque restait seule. S'il ��tait encore de bonne heure, elle prenait sur une petite ��tag��re un livre de d��votion ou quelque ouvrage du grand homme qui avait ��t�� le culte de sa vie Atala, Ren��, ou les M��moires d'Outre-Tombe; et elle s'asseyait �� sa fen��tre dans un fauteuil de cretonne imprim��e, pareil aux tentures de la chambre. Les larges feuilles d'un catalpa haut comme la maison se balan?aient doucement sous ses yeux, presque au ras de la fen��tre; et, selon les caprices de l'air, elle apercevait, entre les branches, une petite fontaine situ��e au milieu de la cour du locataire voisin. Cette fontaine �� double vasque de bronze, coulait nuit et jour, et son maigre murmure monotone avait souvent flatt�� les r��ves et l'imagination facile de celle qui, �� quinze ans, se jetait aux pieds d'un po��te. Elle s'effor?ait de faire abstraction du bruit du savetier de la rue de la Bourde, de celui des plombiers de la rue de l'Arsenal et des g��missements d'une scierie m��canique que l'on entendait �� certaines heures; et la chute r��guli��re et rafra?chissante des gouttelettes dans le bassin lui ��voquait des images du Jourdain o�� Ren�� s'��tait baiss�� puiser une bouteille d'eau, ou bien la transportait au pays d'Atala.
Des songes, c'��tait toute sa vie. Elle avait pass�� au travers de la r��alit�� grace �� l'agilit�� de ses facult��s imaginatives et �� l'ardeur de ses d��sirs. Elle avait ��t�� garantie de la marque d��primante que laisse infailliblement la compr��hension des grises et mis��rables n��cessit��s.
Elle portait une sorte de velouteux duvet moral, que l'on ne saurait comparer qu'�� cette blonde lumi��re qui orne les joues de l'adolescence. Elle avait gard�� l'age de tous les ��lans, de toutes les g��n��rosit��s, l'age o�� l'homme ignore l'impossible.
Elle ne s'��tait point mari��e, non qu'elle f?t laide ou m��prisante, mais parce qu'�� la suite d'une enfance d��licate, le bruit s'��tait r��pandu qu'elle manquait de sant��. D'excellentes amies de la famille assez g��n��reuses pour s'int��resser beaucoup �� elle, avaient contribu��, �� force de bons soins, �� affermir cette opinion contre quoi rien n'avait pr��valu.
La vulgarit�� des hommes l'avait consol��e du c��libat. Longtemps, cependant, elle avait esp��r�� le h��ros que r��vent les jeunes filles. Il en existait, puisqu'elle avait approch�� un Chateaubriand.
Elle ��tait demeur��e pr��s de son fr��re qu'elle adorait. Il
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