Ma Cousine Pot-Au-Feu | Page 2

Leon de Tinseau
au bon r��gime et �� l'atmosph��re de subordination inv��t��r��e que l'on trouvait au chateau et dans les d��pendances.
Pour en revenir aux ? ma?tres ?, j'��tais, cela va sans dire, le seul qui e?t toujours le devoir d'ob��ir, et jamais le droit de commander. Et encore je parle de l'autorit�� l��gitime et reconnue, car, en r��alit��, j'exer?ais une tyrannie occulte sur tous les gens de la maison, �� l'exception de la cuisini��re et du jardinier, ��tres ind��pendants et fiers, sans doute �� cause de leurs connaissances sp��ciales. Dans notre monarchie en miniature, ils jouaient le r?le de l'��cole polytechnique dans la grande famille de l'��tat.
Pour p��n��trer dans la cuisine sans m'exposer �� l'��pouvantable avanie d'un torchon pendu �� la ceinture de ma blouse, il me fallait un v��ritable sauf-conduit de l'autorit�� comp��tente. Quant au jardin, toute la partie r��serv��e aux fruits constituait �� mon ��gard un territoire de guerre, constamment infest�� par la pr��sence de l'ennemi, c'est-��-dire du jardinier, o�� je ne m'aventurais qu'avec des pr��cautions et des ruses d'Apache. Aussi quelles d��lices quand je pouvais entamer de mes dents intr��pides de maraudeur l'��piderme d'une p��che verte, ou la pulpe d'une grappe acide �� faire danser les ch��vres! Un des plus beaux souvenirs de ma premi��re enfance est un certain automne pendant lequel tout le pays fut d��cim�� par le chol��ra. La terreur g��n��rale ��tait parvenue �� ce point qu'on laissait pourrir sur pied tous les fruits quelconques, r��put��s homicides. Ma bonne chance voulut que, de toute la maison, mon ennemi le jardinier fut le seul qui prit la maladie, dont il r��chappa, Dieu merci! J'ai consomm�� certainement, pendant ces trois semaines fortun��es, plus d'abricots et de prunes de reine-Claude que je n'en absorbai et n'en absorberai pendant le reste de ma vie. Que les m��decins daignent m'excuser si je ne suis pas mort: ce n'est point ma faute �� coup s?r.
Dans la marche r��guli��re des ��v��nements, j'��tais plac�� sous l'autorit�� directe de ma m��re, soumise elle-m��me de la fa?on la plus compl��te--en apparence--�� l'autorit�� conjugale. J'ai tout lieu de croire que cette soumission ext��rieure cachait une r��alit�� bien diff��rente, car j'ai connu peu de femmes aussi belles et peu de maris aussi tendres. En dehors des r��primandes solennelles n��cessit��es par quelque m��fait s��rieux, et dont je restais ��branl�� pendant quarante-huit heures, mon p��re n'intervenait dans ma vie que pendant deux ou trois heures de l'apr��s-midi pour me conduire �� la promenade, tant?t �� pied, tant?t en voiture, puis �� cheval, d��s que mon age le permit. Je doute qu'il soit possible d'avoir autant d'adoration, de crainte et de respect tout �� la fois pour le m��me homme que j'en avais pour lui. On aurait dit, d'ailleurs, qu'il r��unissait plusieurs syst��mes d'��ducation dans une seule personne. S��v��re, absolu, tr��s avare de sourires tant que nous ��tions dans l'enceinte du chateau et du parc, il commen?ait �� s'humaniser, �� se d��rider aussit?t que le dernier arbre de l'avenue ��tait d��pass��. Quand nous avions perdu les girouettes de vue, c'��tait un homme gai, affectueux, caressant, presque de mon age, dont je faisais tout ce que je voulais, en ayant bien soin, toutefois, d'op��rer au comptant et non pas �� terme, car, une fois rentr��s au chateau, la fantaisie la mieux accept��e tout �� l'heure devenait quelque chose de fou et d'inaccessible �� l'��gal de la lune.
La g��n��ration sup��rieure ne m'apparaissait gu��re qu'�� l'heure des repas, qui ��taient pour moi les deux moments scabreux de la journ��e. A onze heures toute la famille ��tait r��unie dans la salle �� manger. Mon grand-p��re pr��sidait, comme de juste, ayant de chaque c?t�� une de ses soeurs, l'une et l'autre ses a?n��es, rest��es vieilles filles, faute de n'avoir pu trouver, grace �� la ruine de 93, des maris d'assez bonne race. Elles approchaient alors de la quatre-vingt-dixi��me ann��e, et je n'��tonnerai personne en disant qu'elles ne brillaient point par la bienveillance. Grandes, majestueuses, droites comme des joncs, l'une brune, l'autre blonde (ce n'est que vers l'age de quinze ans que j'ai appris qu'elles portaient perruque), elles semblaient n'avoir conserv�� de toute leur existence qu'un seul souvenir, diff��rent pour chacune d'elles. L'a?n��e avait eu l'honneur d'ouvrir le bal �� Poitiers en donnant la main �� Monsieur, fr��re du roi, lors de la rentr��e des Bourbons. L'autre avait tir�� la duchesse de Berri d'un mauvais pas, lors des soul��vements de 1832, en lui faisant traverser les troupes de Louis-Philippe dans sa voiture. Vingt fois j'ai frissonn�� au r��cit de cette odyss��e men��e �� bien grace au sang-froid de ma tante qui, dans un moment difficile, avait d��tourn�� les soup?ons des voltigeurs en ordonnant �� la princesse, d��guis��e en femme de chambre, de lui rattacher son soulier, trait historique dont elle n'��tait pas peu fi��re.
Leur fr��re, assis de l'autre c?t�� de la table, �� droite de ma grand'm��re, avait ��
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