pas vu un sentiment unanime de chagrin se manifester 
chez nous, comme si ce malheur eût été le nôtre?» En Allemagne, dans 
son voyage à Berlin et à Vienne, M. le duc d'Orléans, par l'agrément de 
sa personne et les qualités de son esprit, avait surmonté des préventions 
peu bienveillantes et laissé un souvenir populaire; mais les grandes 
cours du continent, et la plupart des petites, à leur exemple, n'avaient 
pas cessé d'avoir peu de goût pour le roi Louis-Philippe et pour tout 
l'établissement de 1830, régime libéral issu d'une révolution; on se 
plaisait à lui témoigner des froideurs frivoles, à énumérer ses embarras, 
à douter de son succès; seulement, quand l'inquiétude sur sa solidité 
devenait un peu sérieuse, elle ramenait la justice et le bon sens, et l'on 
s'empressait alors à lui donner des marques d'un prudent intérêt. Dès 
qu'ils apprirent la mort de M. le duc d'Orléans, l'empereur d'Autriche, le 
roi de Prusse, tous les souverains de l'Europe adressèrent au roi son 
père leurs lettres autographes de condoléance, quelques-unes 
sincèrement émues. L'empereur Nicolas seul, malgré les tentatives de 
ses principaux conseillers et le désir marqué de la société de 
Saint-Pétersbourg, persista dans son silence personnel, tout en 
s'empressant, avec quelque étalage, de prendre immédiatement le deuil, 
de contremander un bal de cour, et de faire écrire à M. de Kisseleff, par 
le comte de Nesselrode, une dépêche qui me fut communiquée, et dans 
laquelle la sympathie du père, chaudement exprimée, essayait de 
couvrir l'hostilité obstinée du souverain. A Vienne, le prince de 
Metternich, plus libre que le comte de Nesselrode à Saint-Pétersbourg, 
ne se borna pas à des témoignages officiels; il se complaisait dans la
manifestation de ses idées et mêlait habilement l'abandon à la 
préméditation: «Depuis la nouvelle du funeste événement qui a plongé 
la France dans un si profond deuil, m'écrivait le comte de Flahault[1], 
j'ai eu, avec le prince de Metternich, de longues et fréquentes 
conversations. En m'entretenant de la douleur dont cette perte cruelle 
avait dû pénétrer le coeur du roi, il s'est fort étendu sur les regrets que 
Sa Majesté doit éprouver comme chef de famille et fondateur de sa 
dynastie:--C'était une grande tâche pour votre roi, m'a-t-il dit, que de 
former son successeur et de le rendre apte à continuer son oeuvre. Le 
roi y avait mis tous ses soins, et je sais que, depuis un an surtout, il était 
parfaitement content du résultat qu'il avait obtenu; il éprouvait une 
grande tranquillité et une extrême satisfaction en voyant que son fils 
était entré dans ses idées, et qu'il pourrait s'endormir sans trouble, 
certain que le système d'ordre et de paix qu'il a établi ne serait point 
abandonné après lui. Voilà la perte irréparable. Dans ma petite sphère 
et sans vouloir établir une comparaison entre un humble particulier et le 
roi des Français, j'ai éprouvé le même malheur.--Le prince m'a fait 
alors un récit fort étendu de la mort de son fils et des émotions qu'elle 
lui avait causées, et comme père, et, lui aussi, comme fondateur de la 
fortune et de l'illustration de sa famille.--Mais c'est assez vous parler de 
moi, a-t-il ajouté; tout le travail du roi est à refaire, d'abord sur le duc 
de Nemours si, comme cela est probable, la régence lui est dévolue, 
puis, sur le comte de Paris, si le ciel, dans sa bonté, prolonge les jours 
du roi jusqu'à ce que ce royal enfant puisse profiter de ses leçons.» 
[Note 1: Le 31 juillet 1842.] 
Je rouvre des tombeaux; je réveille ceux qui y reposent; je les fais 
penser et parler comme s'ils étaient encore vivants et présents, avec 
leurs travaux, leurs desseins, leurs craintes et leurs espérances. Rien de 
tout cela n'est plus; ils sont tous morts. Morts, comme le duc d'Orléans, 
d'une chute violente et soudaine, le prince de Metternich dans 
l'Autriche si longtemps immobile, aussi bien que le roi Louis-Philippe 
dans la France révolutionnaire. Pendant qu'après la catastrophe de 1848, 
nous étions ensemble à Londres, je dis un jour au prince de Metternich: 
«Permettez-moi une question; je sais pourquoi et comment la 
révolution de Février s'est faite à Paris; mais pourquoi et comment elle
s'est faite à Vienne, c'est ce que j'ignore et ce que je voudrais apprendre 
de vous.» Il me répondit avec un sourire tristement superbe: «C'est que 
j'ai gouverné l'Europe quelquefois, l'Autriche jamais.» A mon tour, je 
souris, dans mon âme, de son orgueilleuse et bien vaine explication. 
Le 30 juillet, quatre jours après la réunion des Chambres, le cercueil du 
duc d'Orléans fut transporté de la chapelle de Neuilly dans l'église de 
Notre-Dame où ses obsèques furent célébrées avec toutes les pompes 
que le monde peut fournir à la mort, pompe religieuse, pompe civile, 
pompe militaire, pompe populaire. Le concours était immense et 
l'émotion aussi profonde que peut l'admettre un spectacle.    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.