de rester en arrière et de la vendre, 
à son profit, à ceux qui marchaient après nous, tandis que nous, 
marchant par la grande chaleur, nous mourions de soif. 
Le 16, de grand matin, nous arrivâmes devant Smolensk. L'ennemi 
venait de s'y renfermer; nous prîmes position sur le Champ sacré, ainsi 
appelé par les habitants du pays. Cette ville est entourée de murailles 
très fortes et de vieilles tours, dont le haut est en bois; le Boristhène 
(Dniéper) coule de l'autre côté et au pied de la ville. Aussitôt on en fit 
le siège, et l'on battit en brèche, et, le 17 au matin, lorsque l'on se 
disposait à la prendre d'assaut, on fut tout surpris de la trouver évacuée. 
Les Russes battaient en retraite, mais ils avaient coupé le pont et, de 
l'autre côté, sur une hauteur qui dominait la ville, ils nous lançaient des 
bombes et des boulets.
Pendant le jour du siège, je fus, avec un de mes amis, aux avant-postes 
où étaient les batteries de siège qui tiraient sur la ville. C'était la 
position du corps d'armée du maréchal Davoust; en nous voyant, et 
reconnaissant que nous étions de la Garde, le maréchal vint à nous et 
nous demanda où était la Garde impériale. Ensuite il se mit à pointer 
des obusiers qui tiraient sur une tour qui était devant nous. Un instant 
après, l'on vint le prévenir que les Russes sortaient de la ville, et 
s'avançaient dans la direction où nous étions. De suite, il commanda à 
un bataillon d'infanterie légère d'aller prendre position en avant, en 
disant à celui qui le commandait: «Si l'ennemi s'avance, vous le 
repousserez». 
Je me rappelle qu'un officier déjà vieux, faisant partie de ce bataillon, 
chantait, en allant au combat, la chanson de Roland: 
Combien sont-ils? Combien sont-ils? C'est le cri du soldat sans 
gloire![12] 
[Note 12: Combien sont-ils? Combien sont-ils? Quel homme ennemi de 
sa gloire Peut demander: Combien sont-ils? Eh! demande où sont les 
périls, C'est là qu'est aussi la victoire! 
Tel est le texte exact du troisième couplet de Roland à Roncevaux, 
chanson (paroles et musique) de Rouget de L'Isle.] 
Cinq minutes après, ils marchaient à la baïonnette sur la colonne des 
Russes, qui fut forcée de rentrer en ville. 
En revenant à notre camp, nous faillîmes être tués par un obus. Un 
autre alla tomber sur une grange où était logé le maréchal Mortier, et y 
mit le feu; parmi les hommes qui portaient de l'eau pour l'éteindre, je 
rencontrai un jeune soldat de mon endroit; il faisait partie d'un régiment 
de la Jeune Garde[13]. 
[Note 13: Dumoulin, mort de la fièvre à Moscou. (Note de l'auteur.)] 
Pendant notre séjour autour de cette ville, je fus visiter la cathédrale, où 
une grande partie des habitants s'étaient retirés, les maisons ayant été
toutes écrasées. 
Le 21, nous partîmes de cette position. Le même jour, nous traversâmes 
le plateau de Valoutina où, deux jours avant, une affaire sanglante 
venait d'avoir lieu, et où le brave général Gudin avait été tué. 
Nous continuâmes notre route et nous arrivâmes à marches forcées, à 
une ville nommée Dorogobouï; nous en partîmes le 24, en poursuivant 
les Russes jusqu'à Viasma, qui, déjà, était toute en feu. Nous y 
trouvâmes de l'eau-de-vie et un peu de vivres. Nous continuâmes de 
marcher jusqu'à Ghjat, où nous arrivâmes le 1er de septembre. Nous y 
fîmes séjour. Ensuite, on fit, dans toute l'armée, la récapitulation des 
coups de canon et de fusil qu'il y avait à tirer pour le jour où une grande 
bataille aurait lieu. Le 4, nous nous remettions en marche; le 5, nous 
rencontrâmes l'armée russe en position. Le 61e de ligne lui enleva la 
première redoute. 
Le 6, nous nous préparâmes pour la grande bataille qui devait se donner 
le lendemain: l'un prépare ses armes, d'autres du linge en cas de 
blessure, d'autres font leur testament, et d'autres, insouciants, chantent 
ou dorment. Toute la Garde impériale eut l'ordre de se mettre en grande 
tenue. 
Le lendemain, à cinq heures du matin, nous étions sous les armes, en 
colonne serrée par bataillons. L'Empereur passa près de nous en 
parcourant toute la ligne, car déjà, depuis plus d'une demi-heure, il était 
à cheval. 
À sept heures, la bataille commença; il me serait impossible d'en 
donner le détail, mais ce fut, dans toute l'armée, une grande joie en 
entendant le bruit du canon, car l'on était certain que les Russes, comme 
les autres fois, n'avaient pas décampé, et qu'on allait se battre. La veille 
au soir et une partie de la nuit, il était tombé une pluie fine et froide, 
mais, pour ce grand jour, il faisait un temps et un soleil magnifiques. 
Cette bataille fut, comme toutes nos grandes batailles, à coups de canon, 
car, au dire de l'Empereur, cent vingt mille coups furent tirés    
    
		
	
	
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