l'expédier par le canal, et de 
le disposer de manière qu'il pût arriver à Tilsit avec la plus grande 
célérité. Je fis part de mes ordres à M. de Talleyrand, qui me montra sa 
lettre. L'empereur lui marquait, que: «Alexandre avait fait demander un 
armistice de quelques jours; qu'il l'avait accordé; que depuis il lui avait 
fait proposer une entrevue dont il ne se souciait que médiocrement: il 
n'était pas encore décidé, cependant il réfléchirait; mais si la paix ne se 
concluait sur-le-champ, son parti était pris, il était décidé à passer le 
Niémen sans délai. Il était d'autant plus porté à le faire, que les Russes 
n'avaient plus d'armée, tandis que les deux tiers de la sienne ne s'étaient 
pas trouvés sur le champ de bataille de Friedland.» Et il finissait par lui 
mander de se rendre près de lui. L'empereur disait vrai; il n'y avait eu 
que trois corps d'engagés à Friedland, et une seule division de 
cuirassiers, sans compter les dragons et la cavalerie légère; et après la
conclusion de la paix, lorsque je fus chargé des affaires de France en 
Russie, je voyageai de Tilsit à Pétersbourg avec les corps de la garde 
russe. Les officiers que je vis, et que je questionnai, convinrent que, 
hormis la garde, ils n'avaient, à proprement parler, plus d'armée, et 
d'après le calcul que je faisais avec eux, l'empereur de Russie n'aurait 
pas pu nous opposer plus de vingt-deux mille hommes de troupes 
régulières. Nous aurions passé le Niémen; l'empereur pouvait le faire 
avec plus de cent cinquante mille hommes. Nous n'étions qu'au 20 ou 
22 juin, et la Pologne était dans le délire de l'insurrection. Pendant mon 
séjour en Russie, j'ai souvent eu occasion de me persuader que c'étaient 
ces considérations qui avaient déterminé l'empereur Alexandre à 
solliciter la fameuse entrevue du radeau de Tilsit. 
M. de Talleyrand, en recevant l'ordre de se rendre à Tilsit, et en voyant 
ce que l'empereur me marquait dans la lettre qu'il m'écrivait, hâta son 
départ tant qu'il put; il me disait: «Ne vous pressez pas de faire partir 
votre pont, j'espère que l'empereur n'en aura pas besoin: qu'irait-il faire 
au-delà du Niémen? Il faut lui faire abandonner cette idée de Pologne. 
On ne peut rien faire avec ces gens-là; on n'organise que le désordre 
avec les Polonais. Voilà une occasion de terminer tout cela avec 
honneur; il faut la saisir, il faut même d'autant plus se hâter, que 
l'empereur a une affaire bien plus importante ailleurs, et qu'il peut faire 
entrer dans un traité de paix. S'il ne le fait pas, lorsqu'il voudra 
l'entreprendre, il sera rappelé ici par de nouveaux embarras, tandis qu'il 
peut tout terminer dès aujourd'hui. Il le peut d'autant plus que ce qu'il 
projette est une conséquence raisonnable de son système.» 
Dans le fait, comment admettre que M. de Talleyrand était étranger aux 
affaires d'Espagne? En supposant même qu'il ait eu le projet de trahir 
l'empereur en lui faisant faire la paix qui a été conclue à Tilsit, il n'avait 
pas affaire à un insensé: l'empereur connaissait l'état de l'armée russe, 
les Prussiens n'existaient plus que pour mémoire; notre armée, à très 
peu de chose près, était intacte: dans cet état de choses, qui pouvait 
arrêter l'empereur dans l'exécution de ce qu'il aurait voulu? M. de 
Talleyrand se proposait cependant de le détourner de l'idée de passer le 
Niémen et de rétablir la Pologne. Dès-lors, il dut nécessairement lui 
expliquer ses motifs, et puisqu'il a été écouté, que la paix a été faite,
peut-on admettre que M. de Talleyrand ait négligé de le prier de 
s'expliquer sur ses projets à venir avec l'empereur Alexandre, dans un 
moment où il pouvait tout obtenir de ce prince? Le peut-on, lorsqu'on 
sait qu'il ne se dissimulait pas que le concours d'Alexandre était 
nécessaire pour ne pas voir se renouveler la guerre? 
Il n'y a pas d'esprit si borné qu'il soit qui ne voie que c'était folie de 
renoncer aux immenses avantages de guerre qu'avait l'empereur, et 
d'aller s'embarquer dans une entreprise comme celle d'Espagne, sans 
être d'accord avec l'empereur de Russie, qui pouvait reprendre les 
armes dès que nous nous serions retirés, et s'allier avec l'Autriche, qui 
n'intervenait pas dans ce que l'on faisait à Tilsit. Si la paix qui fut 
signée avait eu d'autres bases que celles sur lesquelles elle fut conclue, 
on pourrait dire que la Russie était étrangère aux affaires d'Espagne. 
Dans l'état d'impuissance où elle se trouvait, son monarque venant 
lui-même traiter au quartier-général de l'empereur, et, au lieu de 
supporter des sacrifices, partageant avec nous les dépouilles des 
vaincus, il aurait fallu que nous fussions en démence, pour n'avoir pas 
songé à des affaires que nous projetions, et mettre ainsi leur réussite en 
problème, en n'y faisant pas participer la seule puissance qui pouvait en 
traverser l'exécution. 
L'empereur    
    
		
	
	
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