Mémoires du duc de Rovigo, pour servir à lhistoire de lempereur Napoléon | Page 9

Duc de Rovigo
cohorte, forte de douze cents hommes,
sans lui faire prendre les dix milles cartouches à balles, qui étaient en
réserve chez le colonel, ainsi que cela était d'usage dans la garnison de
Paris, et même sans faire changer les pierres à bois, que les soldats sont
dans la coutume de mettre à leurs fusils pour l'exercice.
Mallet marcha à la tête de cette cohorte, dont il ne laissa qu'une seule
compagnie au quartier, pour accompagner le colonel Soulier à
l'hôtel-de-ville, où il lui avait ordonné d'aller l'attendre, et faire disposer
le bureau nécessaire pour la commission de gouvernement. Il avait eu
soin de donner à ce colonel sa nomination au grade de général de
brigade, et un bon de cent mille francs sur le trésor public.
Le 23 octobre tombait un vendredi, jour de parade pour la garnison de
Paris, laquelle parade, depuis l'absence de l'empereur, avait lieu tous les
vendredis sur la place Vendôme.
Les troupes du faubourg Saint-Antoine étaient obligées de partir de
bonne heure pour s'y rendre c'est ce qui fit que le spectacle de la 10e
cohorte avec armes et bagages ne parut pas étonnant.
Lamotte amène sa cohorte par la grande rue Saint-Antoine, jusqu'à la
porte de la prison de la Force; il se la fait ouvrir, et, sans y entrer
lui-même, il se fait amener les généraux Guidal et Lahorie, qui y étaient
détenus; il ferme ensuite la porte de la prison d'où il défend de laisser
sortir qui que ce soit; il embrasse Lahorie et Guidal, leur fait part de la
mort de l'empereur et de tout ce qui en était la suite, et leur dit: «Il n'y a

pas de temps à perdre; voilà vos instructions, prenez cette troupe pour
les exécuter: je n'ai besoin que d'une demi-compagnie pour aller
m'emparer du gouvernement, où j'attendrai de vos nouvelles. Ensuite
nous nous réunirons à l'hôtel-de-ville.»
Lahorie crut de bonne foi à la mort de l'empereur, et comme il avait été
dans la confiance du général Moreau, il savait ce qu'il avait eu le projet
de faire; il avait mémoire du 18 brumaire, auquel il avait assisté; ces
idées-là revinrent à son esprit, surtout en voyant Mallet en habit brodé
et suivi d'une troupe régulière. Il lut l'instruction que lui donnait Mallet,
prit la cohorte dont celui-ci n'avait gardé que cinquante hommes, et
courut s'emparer de la préfecture de police. Il trouva M. Pasquier, qui
avait coutume de se lever de bonne heure, déjà à son cabinet; il l'arrêta
et lui substitua le jeune Vendéen, ainsi que l'abbé Lafond. Le préfet de
police, quoique dans cette situation, trouva le moyen de m'envoyer bien
vite un de ses employés, pour me prévenir de ce qui se passait; cet
employé, en arrivant chez moi, n'insistait que pour me voir et me parler
au plus vite, sans rien dire de plus. Comme il était connu du portier de
l'hôtel, il aurait pu commencer par faire fermer la porte; il ne le fit pas,
et trouva la consigne que j'avais donnée à cinq heures du matin (en me
couchant), pour qu'on me laissât en repos à moins de force majeure.
Comme il était venu à pied, il ne devançait que de très peu la colonne
du général Lahorie, qui était sur ses pas, et qui entra comme un trait,
ainsi que je l'ai dit.
Lahorie avait envoyé le général Guidal, qui était venu avec lui arrêter le
ministre de la guerre; mais le sergent par lequel il voulait me faire
assassiner lui ayant manqué de parole, il courut lui-même après ce
général, qu'il atteignit dans la rue des Saints-Pères, et ramena chez moi
avec son détachement. C'est à ce seul incident, que le ministre de la
guerre doit de n'avoir pas eu la même aventure que moi.
Mallet, en quittant Lahorie, à la porte de la Force, avait envoyé par des
soldats de la 10e cohorte, aux deux commandants des régiments de la
garde soldée de Paris, des paquets renfermant des pièces semblables à
celles qu'il avait lues à sa troupe avant de l'emmener, et de plus une
instruction que ces deux régiments devaient suivre de point en point.

Il employa l'un à fermer toutes les barrières de Paris, avec défense d'en
laisser sortir qui que ce fût; ce qui fut fait, en sorte que dans les villes
du voisinage, d'où on aurait pu avoir des secours, si l'on en avait eu
besoin, on n'aurait rien su de ce qui se passait à Paris. Il employa l'autre
à occuper la banque, la trésorerie et autres points de l'administration
publique. À la trésorerie, il éprouva de la résistance; le ministre s'y était
rendu et sut se servir de la garde de sa maison, pour ne pas laisser
méconnaître son autorité. Mais dans les deux régiments entiers de la
garde soldée de
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