suffisance, je m'amusai à lui conter des sornettes[2]. 
[Note 2: C'est sans doute ce qui a fait dire depuis à M. le duc de Rovigo, 
en parlant de Fouché: «Celui-là nous en a bien fait accroire.» Bien 
entendu que cette phrase, telle que nous l'avons entendue citer dans le 
monde, comprend tout le gouvernement impérial. (Note de l'éditeur.)] 
En revanche, j'eus l'air de le mettre au fait des formes, des usages et des 
traditions du ministère; je lui vantai surtout les vues profondes des trois 
Conseillers d'état, qui, sous sa direction, allaient travailler comme
quatre à exploiter la police administrative en se partageant la France. Il 
en était tout ébahi. Je lui présentai et lui recommandai de tout coeur les 
principaux agens et employés que j'avais eu sous mes ordres; il 
n'accueillit que le caissier, personnage rond, et le petit inquisiteur 
Desmarets, dont je m'étais défié. Cet homme, doué d'un certain tact, 
s'était courbé vers le soleil levant par instinct. Ce fut pour Savary une 
vraie cheville ouvrière. Rien de risible comme de voir ce ministre 
soldatesque donner ses audiences, épelant la liste des solliciteurs, 
confectionnée par les huissiers de la chambre, avec les notes de 
Desmarets en regard; c'était le guide-âne pour les accueils ou pour les 
refus, presque toujours accompagnés de juremens ou d'invectives. Je 
n'avais pas manqué de lui dire que c'était pour avoir été trop bon que 
j'avais indisposé l'empereur; et que, pour mieux veiller sur ses jours si 
précieux, il devait se montrer récalcitrant. 
Bouffi d'une morgue insolente[3], il affecta, dès les premiers jours, 
d'imiter son maître dans ses fréquentes incartades, dans ses phrases 
coupées et incohérentes. Il n'apercevait d'utile, dans toute la police, que 
les rapports secrets, l'espionnage et la caisse. J'eus le bonheur de le 
contempler dans ses soubresauts, et s'épanouissant le jour que je lui fis 
l'agréable supputation de tous les budgets qui venaient se perdre dans la 
caisse privée: elle lui parut une nouvelle lampe merveilleuse. 
[Note 3: Ceci serait par trop fort pour tout autre que pour Fouché, 
homme vindicatif, et qui nourrissait contre le duc de Rovigo une haine 
dont il laisse trop apercevoir les traces. (Note de l'éditeur.)] 
Je grillais d'être débarrassé de cette pédagogie ministérielle; mais, d'un 
autre côté, je cherchais des prétextes, afin de prolonger mon séjour à 
Paris. J'y faisais ostensiblement mes préparatifs de départ pour Rome, 
comme si je n'eusse pas douté un instant d'aller m'y installer. Toute ma 
maison fut montée sur le pied d'un gouvernement général, et jusqu'à 
mes équipages portèrent en grosses lettres l'inscription: Équipages du 
gouverneur général de Rome. Instruit que toutes mes démarches étaient 
épiées, je mettais beaucoup de soins dans de petites choses. 
Enfin, ne recevant ni décision ni instructions, je chargeai Berthier de 
demander à l'empereur mon audience de congé. J'en reçus pour toute
réponse que l'empereur n'avait point encore assigné le jour de mon 
audience, et qu'il serait convenable, à cause des caquetages publics, que 
j'allasse dans ma terre attendre les instructions qui me seraient 
adressées incessamment. Je me rendis à mon château de Ferrières[4], 
non sans me permettre la petite malice de faire insérer dans les 
journaux de Paris, par voie détournée, que je partais pour mon 
gouvernement[5]. 
[Note 4: Le château de Ferrières est à trois quarts de lieue de la terre de 
Pont-Carré, bien d'émigré, à environ six lieues de Paris, que Fouché 
avait acquis de l'État, mais dont on assure qu'il avait payé l'exacte 
valeur à son propriétaire. Le château de Pont-Carré tombant alors en 
ruine, il paraît que Fouché le fit démolir, et fit construire sur son 
emplacement des bergeries. Ferrières et Pont-Carré, réunis à 
d'immenses bois qui en dépendent à présent, forment, dit-on, un des 
plus magnifiques domaines du royaume: il embrasse une étendue de 
quatre lieues. C'est au château de Ferrières que Fouché s'est retiré 
d'abord après sa disgrâce, et ensuite après son retour de la sénatorerie 
d'Aix, ainsi qu'on va le voir à la suite de ces Mémoires. (Note de 
l'éditeur.)] 
[Note 5: L'auteur néglige presque toujours les dates. Nous croyons que 
c'est le 26 juin 1810. (Note de l'éditeur.)] 
Dans mon dernier entretien avec Berthier, il ne m'avait pas été difficile 
de pénétrer les dispositions de l'empereur à mon égard; j'avais entrevu 
combien il était contrarié de voir l'opinion publique se prononcer contre 
mon renvoi, et se déclarer contre mon successeur. On n'apercevait plus 
dans le ministère de la police qu'une gendarmerie et une prévôté. Tous 
ces indices me confirmèrent dans l'idée que je me déroberais 
difficilement aux conséquences d'une disgrâce réelle. 
En effet, à peine étais-je à Ferrières, qu'un parent de ma femme, laissé à 
Paris aux aguets, arrive en toute hâte à minuit, m'apportant l'avis que le 
lendemain je serais arrêté ou gardé à vue, et qu'on saisirait mes papiers. 
Quoiqu'exagérée dans ces circonstances, l'information était positive;    
    
		
	
	
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