virtuosité avec le Breton Lelgouach, dans Impressions d'Afrique qui 
s'est confectionné un instrument de musique avec son tibia amputé et 
avec lequel il joue des mélodies d'une pureté extrême, ou encore les
cadavres de Canterel dans Locus Solus qui joignent la vie et la mort en 
retrouvant l'exact passé. 
Le secret de l'origine 
À l'inverse, maintes histoires racontées qui gravitent autour des 
métamorphoses, se présentent avec la simplicité des contes pour 
enfants: les personnages sont d'entrée de jeu classés bons ou méchants, 
leur psychologie est volontairement limitée et en général la fin de 
l'histoire voit triompher la «juste cause». Mais le plus souvent, elles 
contiennent un secret en rapport avec l'origine, une naissance cachée, 
illégitime, mais qui finira par retrouver sa vraie place. Ou encore des 
amours impossibles qui débouchent sur un drame, et dont l'affreuse 
vérité finira toujours par apparaître. 
Une animalité transfigurée 
Mais ce qui frappe le plus dans l'oeuvre de Roussel, c'est la présence 
d'une animalité transfigurée, qui se retrouve toujours au coeur de 
performances invraisemblables, au point qu'elle en devient 
complètement irréelle. 
On peut citer, par exemple, les sept hippocampes de Locus Solus qui 
évoluent dans une eau «diamantaire», l'aqua-micans, contenue dans un 
bocal géant: 
«Les hippocampes détenaient alors, formée par leur pétrissage 
continuel, une étincelante boule jaune dont le rayon mesurait à peine 
trois centimètres. (...) L'abandonnant brusquement d'un commun accord, 
ils se placèrent cote à cote sur un seul rang, dans l'ordre que 
réclamaient leurs sétons, pour constituer un arc-en-ciel exact. (...) 
L'attelage s'étant mis en marche, les traits se tendirent horizontalement, 
grâce au poids résistant du globe magnétique, entraîné dans le brusque 
élan général. 
Un cri de surprise nous jaillit des lèvres: l'ensemble évoquait le char 
d'Apollon. Vu son ardente participation à l'éclat de l'aqua-micans, la 
boule jaune et diaphane s'environnait en effet d'aveuglant rayons la
transformant en astre du jour.» 
Mais une des figures animales les plus extraordinaires de l'oeuvre de 
Roussel, est le chat sans pelage qui, dans le cristal de Canterel, nage 
autour «d'un chef humain composé uniquement de matière cérébrale, de 
muscles et de nerfs»; dernier vestige de la tête de Danton. Il excite les 
nerfs pendants de ce débris morbide par l'intermédiaire d'un cornet 
électrique qu'il porte comme un masque. Les muscles s'agitent, font 
«tourner en tous sens ses yeux absents» et ce qui reste de la bouche 
semble encore proférer des bribes de discours que Canterel traduit pour 
ses invités. Contrairement aux contes pour enfants et aux vieilles 
légendes où les hommes font parler les animaux, il se trouve qu'ici, 
c'est un chat-poisson qui fait parler un mort ou plutôt une tête, «qui n'a 
conservé de sa pourriture que l'envers du masque (alors que ce sont les 
masques qui éternisent les morts), de ce langage rendu à lui-même sans 
sa voix et dissous aussitôt dans le silence de l'eau. Paradoxe de cette 
réanimation mécanique de la vie, alors que les vieilles métamorphoses 
avaient pour fin essentielle de maintenir la vie en vie.»[3] 
[3] Michel Foucault, Raymond Roussel, Le Chemin, Gallimard, 1963, p. 
109. 
La mort, ultime limite 
Or il semble bien que ce soit la mort même qui vienne se poser en 
limite absolue et de propos délibéré aux merveilles sans bornes des 
inventions rousséliennes. 
Il n'y a aucun inconvénient à ce que les animaux franchissent les 
barrières de leur condition et deviennent «intelligents», mais par contre, 
à aucun moment la mort ne redevient la vie. La raison en est sans doute 
la conscience aiguë qu'avait Roussel de sa propre finitude. 
«Épanouissement posthume»... 
Ainsi, l'oeuvre de Roussel s'articule autour des pôles suivants: langage, 
clichés, production de mythes, concision et transparence de style.
Espérons que cette édition puisse faire connaître un peu mieux cette 
oeuvre étrange et fascinante, et que Raymond Roussel retrouve un peu 
de cette gloire posthume qu'il avait cherchée en vain de son vivant, et 
appelée de ses voeux avant de mourir: «Et je me réfugie faute de mieux 
dans l'espoir que j'aurai peut-être un peu d'épanouissement posthume à 
l'endroit de mes livres.»[4] 
Pierre HIDALGO 
[4] Raymond Roussel, comment j'ai écrit certains de mes livres, édition 
10/18, 1963, p. 35. 
* * * * * 
À ma soeur la duchesse d'Elchingen Très tendrement, 
R. R. 
* * * * * 
 
Chapitre premier 
Ce jeudi de commençant avril, mon savant ami le maître Martial 
Canterel m'avait convié, avec quelques autres de ses intimes, à visiter 
l'immense parc environnant sa belle villa de Montmorency. 
Locus Solus--la propriété se nomme ainsi--est une calme retraite où 
Canterel aime poursuivre en toute tranquillité d'esprit ses multiples et 
féconds travaux. En ce lieu solitaire il est suffisamment à l'abri des 
agitations de Paris--et peut cependant gagner la capitale en un quart 
d'heure quand ses recherches nécessitent quelque station dans telle 
bibliothèque spéciale ou quand arrive l'instant de faire au monde 
scientifique, dans une    
    
		
	
	
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