venue pour la toilette 
crépusculaire; puis elle était partie. 
Huit heures sonnèrent, et, presque tout de suite deux coups furent 
frappés à la porte. 
--Entrez. 
Le maître d'hôtel parut, et dit: 
--Madame la comtesse est servie. 
--Le comte est rentré? 
--Oui, madame la comtesse. M. le comte est dans la salle à manger. 
Elle eut, pendant quelques secondes, la pensée de s'armer d'un petit 
revolver qu'elle avait acheté quelque temps auparavant, en prévision du 
drame qui se préparait dans son coeur. Mais elle songea que tous les 
enfants seraient là; et elle ne prit rien, qu'un flacon de sels. 
Lorsqu'elle entra dans la salle, son mari, debout près de son siège, 
attendait. Ils échangèrent un léger salut, et s'assirent. Alors, les enfants, 
à leur tour, prirent place. Les trois fils, avec leur précepteur, l'abbé 
Marin, étaient à la droite de la mère; les trois filles, avec la gouvernante
anglaise, Mlle Smith, étaient à gauche. Le dernier enfant, âgé de trois 
mois, restait seul à la chambre avec sa nourrice. 
Les trois filles, toutes blondes, dont l'aînée avait dix ans, vêtues de 
toilettes bleues, ornées de petites dentelles blanches, ressemblaient à 
d'exquises poupées. La plus jeune n'avait pas trois ans. Toutes, jolies 
déjà, promettaient de devenir belles comme leur mère. 
Les trois fils, deux châtains, et l'aîné, âgé de neuf ans, déjà brun, 
semblaient annoncer des hommes vigoureux, de grande taille, aux 
larges épaules. La famille entière semblait bien du même sang, fort et 
vivace. 
L'abbé prononça le bénédicité selon l'usage, lorsque personne n'était 
invité, car, en présence des étrangers, les enfants ne venaient point à la 
table. Puis on se mit à dîner. 
La comtesse, étreinte d'une émotion qu'elle n'avait point prévue, 
demeurait les yeux baissés, tandis que le comte examinait tantôt les 
trois garçons et tantôt les trois filles, avec des yeux incertains qui 
allaient d'une tête à l'autre, troublés d'angoisses. Tout à coup, en 
reposant devant lui son verre à pied, il le cassa, et l'eau rougie se 
répandit sur la nappe. Au léger bruit que fit ce léger accident la 
comtesse eut un soubresaut qui la souleva sur sa chaise. Pour la 
première fois ils se regardèrent. Alors, de moment en moment, malgré 
eux, malgré la crispation de leur chair et de leur coeur, dont les 
bouleversait chaque rencontre de leurs prunelles, ils ne cessaient plus 
de les croiser comme des canons de pistolet. 
L'abbé, sentant qu'une gêne existait dont il ne devinait pas la cause, 
essaya de semer une conversation. Il égrenait des sujets sans que ses 
inutiles tentatives fissent éclore une idée, fissent naître une parole. 
La comtesse, par tact féminin, obéissant à ses instincts de femme du 
monde, essaya deux ou trois fois de lui répondre: mais en vain. Elle ne 
trouvait point ses mots dans la déroute de son esprit; et sa voix lui 
faisait presque peur dans le silence de la grande pièce où sonnaient 
seulement les petits heurts de l'argenterie et des assiettes.
Soudain son mari, se penchant en avant, lui dit: 
--En ce lieu, au milieu de vos enfants, me jurez-vous la sincérité de ce 
que vous m'avez affirmé tantôt. 
La haine fermentée dans ses veines la souleva soudain, et répondant à 
cette demande avec la même énergie qu'elle répondait à son regard, elle 
leva ses deux mains, la droite vers les fronts de ses fils, la gauche vers 
les fronts de ses filles, et d'un accent ferme, résolu, sans défaillance: 
--Sur la tête de mes enfants, je jure que je vous ai dit la vérité. 
Il se leva, et, avec un geste exaspéré ayant lancé sa serviette sur la table, 
il se retourna en jetant sa chaise contre le mur, puis sortit sans ajouter 
un mot. 
Mais elle, alors, poussant un grand soupir, comme après une première 
victoire, reprit d'une voix calmée: 
--Ne faites pas attention, mes chéris, votre papa a éprouvé un gros 
chagrin tantôt. Et il a encore beaucoup de peine. Dans quelques jours il 
n'y paraîtra plus. 
Alors elle causa avec l'abbé; elle causa avec Mlle Smith; elle eut pour 
tous ses enfants des paroles tendres, des gentillesses, de ces douces 
gâteries de mère qui dilatent les petits coeurs. 
Quand le dîner fut fini, elle passa au salon avec toute sa maisonnée. 
Elle fit bavarder les aînés, conta des histoires aux derniers, et, lorsque 
fut venue l'heure du coucher général, elle les baisa très longuement puis, 
les ayant envoyés dormir, elle rentra seule dans sa chambre. 
Elle attendit, car elle ne doutait pas qu'il viendrait. Alors, ses enfants 
étant loin d'elle, elle se décida à défendre sa peau d'être humain comme 
elle avait défendu sa vie de femme du monde; et elle cacha, dans la 
poche de sa robe, le petit revolver chargé qu'elle avait acheté quelques 
jours plus tôt.
Les heures passaient, les heures sonnaient. Tous les bruits    
    
		
	
	
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