victime de votre 
féroce égoïsme. 
Il était devenu rouge d'étonnement et d'irritation. Il grogna, les dents 
serrées:
--Oui, dites? 
C'était un homme de haute taille, à larges épaules, à grande barbe 
rousse, un bel homme, un gentilhomme, un homme du monde qui 
passait pour un mari parfait et pour un père excellent. 
Pour la première fois depuis leur sortie de l'hôtel elle se retourna vers 
lui et le regarda bien en face: 
--Ah! vous allez entendre des choses désagréables, mais sachez que je 
suis prête a tout, que je braverai tout, que je ne crains rien, et vous 
aujourd'hui moins que personne. 
Il la regardait aussi dans les yeux, et une rage déjà le secouait. Il 
murmura: 
--Vous êtes folle! 
--Non, mais je ne veux plus être la victime de l'odieux supplice de 
maternité que vous m'imposez depuis onze ans! je veux vivre enfin en 
femme du monde, comme j'en ai le droit, comme toutes les femmes en 
ont le droit. 
Redevenant pâle tout à coup, il balbutia: 
--Je ne comprends pas. 
--Si, vous comprenez. Il y a maintenant trois mois que j'ai accouché de 
mon dernier enfant, et comme je suis encore très belle, et, malgré vos 
efforts, presque indéformable, ainsi que vous venez de le reconnaître en 
m'apercevant sur votre perron, vous trouvez qu'il est temps que je 
redevienne enceinte. 
--Mais vous déraisonnez! 
--Non. J'ai trente ans et sept enfants, et nous sommes mariés depuis 
onze ans, et vous espérez que cela continuera encore dix ans, après quoi 
vous cesserez d'être jaloux.
Il lui saisit le bras et l'étreignant: 
--Je ne vous permettrai pas de me parler plus longtemps ainsi. 
--Et moi, je vous parlerai jusqu'au bout, jusqu'à ce que j'aie fini tout ce 
que j'ai à vous dire, et si vous essayez de m'en empêcher, j'élèverai la 
voix de façon à être entendue par les deux domestiques qui sont sur le 
siège. Je ne vous ai laissé monter ici que pour cela, car j'ai ces témoins 
qui vous forceront à m'écouter et à vous contenir. Écoutez-moi. Vous 
m'avez toujours été antipathique et je vous l'ai toujours laissé voir, car 
je n'ai jamais menti, monsieur. Vous m'avez épousée malgré moi, vous 
avez forcé mes parents qui étaient gênés à me donner à vous, parce que 
vous êtes très riche. Ils m'y ont contrainte, en me faisant pleurer. 
Vous m'avez donc achetée, et dès que j'ai été en votre pouvoir, dès que 
j'ai commencé à devenir pour vous une compagne prête à s'attacher, à 
oublier vos procédés d'intimidation et de coercition pour me souvenir 
seulement que je devais être une femme dévouée et vous aimer autant 
qu'il m'était possible de le faire, vous êtes devenu jaloux, vous, comme 
aucun homme ne l'a jamais été, d'une jalousie d'espion, basse, ignoble, 
dégradante pour vous, insultante pour moi. Je n'étais pas mariée depuis 
huit mois que vous m'avez soupçonnée de toutes les perfidies. Vous me 
l'avez même laissé entendre. Quelle honte! Et comme vous ne pouviez 
pas m'empêcher d'être belle et de plaire, d'être appelée dans les salons 
et aussi dans les journaux une des plus jolies femmes de Paris, vous 
avez cherché ce que vous pourriez imaginer pour écarter de moi les 
galanteries, et vous avez eu cette idée abominable de me faire passer 
ma vie dans une perpétuelle grossesse, jusqu'au moment où je 
dégoûterais tous les hommes. Oh! ne niez pas! Je n'ai point compris 
pendant longtemps, puis j'ai deviné. Vous vous en êtes vanté même à 
votre soeur, qui me l'a dit, car elle m'aime et elle a été révoltée de votre 
grossièreté de rustre. 
Ah! rappelez-vous nos luttes, les portes brisées, les serrures forcées! A 
quelle existence vous m'avez condamnée depuis onze ans, une 
existence de jument poulinière enfermée dans un haras. Puis, dès que 
j'étais grosse, vous vous dégoûtiez aussi de moi, vous, et je ne vous 
voyais plus durant des mois. On m'envoyait à la campagne, dans le
château de la famille, au vert, au pré, faire mon petit. Et quand je 
reparaissais, fraîche et belle, indestructible, toujours séduisante et 
toujours entourée d'hommages, espérant enfin que j'allais vivre un peu 
comme une jeune femme riche qui appartient au monde, la jalousie 
vous reprenait, et vous recommenciez à me poursuivre de l'infâme et 
haineux désir dont vous souffrez en ce moment, à mon côté. Et ce n'est 
pas le désir de me posséder--je ne me serais jamais refusée à vous--c'est 
le désir de me déformer. 
Il s'est de plus passé cette chose abominable et si mystérieuse que j'ai 
été longtemps à la pénétrer (mais je suis devenue fine à vous voir agir 
et penser): vous vous êtes attaché à vos enfants de toute la sécurité 
qu'ils vous ont donnée pendant que je les portais dans ma taille. Vous 
avez fait de l'affection pour eux avec toute l'aversion que vous aviez    
    
		
	
	
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