mordre sur vous par derrière à propos de 
cette assertion, n'en faites pas cas pour deux maravédis; car, le 
mensonge fût-il avéré, on ne vous coupera pas la main qui l'aura écrit. 
«Quant à citer en marge les livres et les auteurs où vous auriez pris les 
sentences et les maximes que vous placerez dans votre histoire[6], vous 
n'avez qu'à vous arranger de façon qu'il y vienne à propos quelque 
dicton latin, de ceux que vous saurez par coeur, ou qui ne vous 
coûteront pas grande peine à trouver. Par exemple, en parlant de liberté 
et d'esclavage, vous pourriez mettre: 
_Non bene pro toto libertas venditur aura,_ 
et citer en marge Horace, ou celui qui l'a dit[7]. S'il est question du 
pouvoir de la mort, vous recourrez aussitôt au distique: 
Pallida mors aequo pulsat pede pauperum tabernas _Regumque 
turres._ 
S'il s'agit de l'affection et de l'amour que Dieu commande d'avoir pour 
son ennemi, entrez aussitôt dans la divine Écriture, ce que vous pouvez
faire avec tant soit peu d'attention, et citez pour le moins les paroles de 
Dieu même: «Ego autem dico vobis: Diligite inimicos vestros.» Si vous 
traitez des mauvaises pensées, invoquez l'Évangile: «De corde exeunt 
cogitationes malae;» si de l'instabilité des amis, voilà Caton[8] qui vous 
prêtera son distique: 
_Donec eris felix, multos numerabis amicos;_ _Tempora si fuerint 
nubila, solus eris._ 
Avec ces bouts de latin, et quelques autres de même étoffe, on vous 
tiendra du moins pour grammairien, ce qui, à l'heure qu'il est, n'est pas 
d'un petit honneur ni d'un mince profit. 
«Pour ce qui est de mettre des notes et commentaires à la fin du livre, 
vous pouvez en toute sûreté le faire de cette façon: si vous avez à 
nommer quelque géant dans votre livre, faites en sorte que ce soit le 
géant Goliath, et vous avez, sans qu'il vous en coûte rien, une longue 
annotation toute prête; car vous pourrez dire: «Le géant Golias, ou 
Goliath, fut un Philistin que le berger David tua d'un grand coup de 
fronde dans la vallée de Térébinthe, ainsi qu'il est conté dans le _livre 
des Rois, _au chapitre où vous en trouverez l'histoire.» Après cela, pour 
vous montrer homme érudit, versé dans les lettres humaines et la 
cosmographie, arrangez-vous de manière que le fleuve du Tage soit 
mentionné en quelque passage de votre livre, et vous voilà en 
possession d'un autre magnifique commentaire. Vous n'avez qu'à mettre: 
«Le fleuve du Tage fut ainsi appelé du nom d'un ancien roi des 
Espagnes; il a sa source en tel endroit, et son embouchure dans l'Océan, 
où il se jette, après avoir baigné les murs de la fameuse cité de 
Lisbonne. Il passe pour rouler des sables d'or, etc.» Si vous avez à 
parler de larrons, je vous fournirai l'histoire de Cacus, que je sais par 
coeur; si de femmes perdues, voilà l'évêque de Mondoñedo[9] qui vous 
prêtera Lamia, Layda et Flora, et la matière d'une note de grand crédit; 
si de cruelles, Ovide vous fournira Médée; si d'enchanteresses, Homère 
a Calypso, et Virgile, Circé; si de vaillants capitaines, Jules César se 
prêtera lui-même dans ses _Commentaires, _et Plutarque vous donnera 
mille Alexandres. Avez- vous à parler d'amours? pour peu que vous 
sachiez quatre mots de la langue italienne, vous trouverez dans Leone
Hebreo[10] de quoi remplir la mesure toute comble; et s'il vous déplaît 
d'aller à la quête en pays étrangers, vous avez chez vous Fonseca et son 
_Amour de Dieu, _qui renferme tout ce que vous et le plus ingénieux 
puissiez désirer en semblable matière. En un mot, vous n'avez qu'à faire 
en sorte de citer les noms que je viens de dire, ou de mentionner ces 
histoires dans la vôtre, et laissez-moi le soin d'ajouter des notes 
marginales et finales: je m'engage, parbleu, à vous remplir les marges 
du livre et quatre feuilles à la fin. 
«Venons, maintenant, à la citation d'auteurs qu'ont les autres livres et 
dont le vôtre est dépourvu. Le remède est vraiment très- facile, car vous 
n'avez autre chose à faire que de chercher un ouvrage qui les ait tous 
cités depuis l'_a _jusqu'au _z__[11]_, comme vous dites fort bien; et ce 
même abécédaire, vous le mettrez tout fait dans votre livre. Vît-on 
clairement le mensonge, à cause du peu d'utilité que ces auteurs 
pouvaient vous offrir, que vous importe? il se trouvera peut-être encore 
quelque homme assez simple pour croire que vous les avez tous mis à 
contribution dans votre histoire ingénue et tout unie. Et, ne fût-il bon 
qu'à cela, ce long catalogue doit tout d'abord donner au livre quelque 
autorité. D'ailleurs, qui s'avisera, n'ayant à cela nul intérêt, de vérifier si 
vous y avez ou non suivi ces auteurs? Mais il y a plus, et, si je ne me 
trompe, votre livre n'a pas le moindre besoin d'aucune de ces choses    
    
		
	
	
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