Linfluence dun livre | Page 2

Philipe Aubert de Gaspé
Ouvrez; et l'inconnu entra aussit?t. Je commen?ais à craindre que tu n'eusses oublié notre rendez-vous.
--Il n'est que minuit, dit Dupont.
--C'est vrai.
--N'était-ce pas l'heure convenue?
--Tu as raison.
--Alors, pourquoi me faire des reproches?
--Tu te trompes, Dupont, ce ne sont pas des reproches; j'étais seul et je m'ennuyais. Dis-moi, as-tu songé à ce que tu m'as promis?
--Oui; et plus j'y songe et plus je m'en dégo?te: sais-tu que c'est mal?
--Pshaw! enfant, je m'engage à prendre toute la responsabilité. Voyons, sois homme. Tu sais ce dont il s'agit; notre fortune! Tu dois être persuadé de l'infaillibilité de notre moyen. Qu'est-ce qui peut donc te faire balancer encore?
--Cette poule noire.
--Eh bien, ce n'est rien, tu n'as qu'à la voler et moi je me charge du reste.
--Pourquoi ne pas l'acheter?
--Imbécile! tu sais bien qu'alors elle serait inutile. Veux-tu que je te lise encore le passage? Est-ce que tu ne t'en rappelles plus? Qu'est-ce, au fait, que de voler une poule noire! Quand bien même tu serais découvert? tu diras à ton voisin que tu voulais lui faire une plaisanterie; et puis, tout sera dit.--Pourquoi ne le fais-tu pas toi-même?
--Pas mauvais! D'abord, tu sais qu'il faut être deux, nous le sommes; mais crois-tu que je vais courir tous les risques et puis ensuite partager avec toi? Il faudrait être fou! J'aimerais autant tout garder moi-même.
--écoute, Charles, tu connais M. B***; te rappelles-tu comme il s'est moqué de nous, quand tu lui as parlé de ton projet?
--D'accord; mais écoute à ton tour: cet homme est riche, n'est-ce pas? N'est-il pas de son intérêt de nous cacher les moyens par lesquels il est parvenu à la fortune? Tu sais qu'il a tous les livres du monde, excepté un?--Oui--Eh bien pourquoi a-t-il refusé de me les prêter? C'est qu'il craignait que je ne fisse comme lui. Comme je puis me fier à toi, je vais te confier un secret: Tu connais cette petite rivière qui serpente derrière son domaine. Je l'ai vu, moi-même, de mes yeux, à minuit, avec son fils, tous deux occupés à conjurer des esprits de l'autre monde. J'avais le coeur faible alors. Aussi je m'éloignai. Si je pouvais retrouver une aussi bonne occasion de m'instruire je t'assure que je ne la perdrais pas à présent.
--Je consens, dit Dupont.
--Touche-la, dit Amand; à demain, vers minuit. Et les deux amis se séparèrent.
La nuit était sombre, le vent faisait trembler la chaumière, mal assurée sur ses fondements, et quelques gouttes de pluie poussées par l'orage suintaient au travers des planches, mal jointes, de son toit. Le tonnerre se faisait entendre au loin. Tout présageait une nuit horrible. Amand avait froid. Dans l'enthousiasme de son zèle, pour s'assurer de son compagnon irrésolu, il avait oublié d'alimenter son feu qui se trouvait maintenant éteint. Il fit inutilement tous ses efforts pour le rallumer; enfin, accablé de fatigue, il se dépouilla de ses vêtements et se mit au lit. Il s'endormit facilement; car depuis longtemps il avait pour habitude de ne prendre que deux heures de sommeil par nuit. Heureux moments où son ame s'élan?a dans ce monde idéal pour lequel il était né! Que n'aurait pas fait cet homme si son imagination fertile e?t été fécondée par l'éducation?
Cette nuit il eut un songe: il lui sembla être près de l'astre du jour, qui d'un c?té lui présentait un vaste jardin au milieu duquel, sur un tr?ne, était assis un esprit céleste qui l'excitait du geste et de la voix à le rejoindre. Amand, enivré de joie, s'élan?ait vers lui et celui-ci lui faisait place à ses c?tés et lui disait: ?Sans nul secours, tu t'es frayé un chemin au travers du sentier rude et épineux de la science, tu as pénétré dans les secrets les plus profonds de la nature, tu as approfondi des mystères que le vulgaire regarde de l'oeil de l'indifférence, les difficultés ne t'ont pas rebuté: pas même la dérision à laquelle tu t'exposais. Viens jouir maintenant de ta récompense. Tu vas retourner sur cette terre où l'on t'appelait visionnaire; mais tu n'y seras plus pauvre et sans asile--Suis-moi.? Et, accompagnant l'esprit céleste, il passait sur la surface opposée du Dieu de la lumière et il lui semblait qu'il était sur un miroir d'or et de rubis et tout cela était à lui. Puis il se retrouvait sur notre globe, on l'adorait, on l'aimait, on l'enviait... Il était heureux!
Le jour mit fin à cette douce erreur, et la froide réalité vint rappeler à notre héros qu'il était seul, couché sur un misérable grabat, et presque mourant d'inanition au fond d'une chaumière.

CHAPITRE SECOND
La conjuration
Et rien ne troublait le silence de cette nuit si ce n'es un bruit étrange, comme d'un léger battement d'ailes, que de fois à autre on entendait au-dessus des campagnes et des cités.
LAMENNAIS.
When shall we three meet again? In thunder, lightning, or in rain?
MACBETH.
Dupont, en se
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