Lillustre comédien, ou Le martyre de Sainct Genest | Page 2

Nicolas-Marc Desfontaines
Comme toy je condamne, &
je hay les Chrestiens, Tes desirs sont mes voeux & mes dieux sont les
tiens, Mais comme les erreurs de cette troupe infame Sont enfin des
deffaux qui s'attachent à l'ame, Je treuve que l'on fait d'inutiles efforts
Pour guerir les esprits d'en affliger les corps, Cette superieure & plus
noble partie Par des effets si bas n'est point assujettie Elle brave ses fers,
& rit de sa prison, Pour suivre seulement les loix de la raison: Elle
seule la dompte, elle seule est sa Reine, Et sur elle, elle seule agit en
souveraine; Pour ranger les Chrestiens aux termes du devoir Une fois, ô

Cesar, sers toy de son pouvoir: Faits agir la raison, laisse agir les
exemples, Tasche par la douceur de les mener aux Temples, Et sans
plus les forcer, donne leur le loisir, D'examiner un peu ce qu'ils doivent
choisir. L'aspect de tes boureaux rend leur ame interdite, Le fer les
effarouche, & le sang les irrite, Au lieu que ta bonté peut remettre leurs
sens Et faire offrir aux Dieux des voeux & de l'encens.
DIOCLETIAN.
Rutile, ton conseil promet de belles choses: Mais fais voir les effets de
ce que tu proposes, Et puis que les tourmens ont si peu reussy, Tente ce
beau moyen dont tu parles icy, Je commets à tes soings cette affaire
importante, Ton esprit est adroit, & ta langue eloquente, Tu n'auras pas
fait peu si calmant ma fureur Tu peux par tes raisons vaincre aussi leur
erreur.
AQUILLIN.
L'espoir en est fort beau, mais l'effet difficile.
RUTILE.
Il est vray que l'effort en peut estre inutile, Et je ne voudrois pas
respondre absolument Qu'il ayt selon nos voeux un bel evenement:
Mais on peut sans hazard esprouver cette voye, Et ce fidele advis que le
ciel vous envoye Pour calmer doucement les esprits furieux, Et les
ranger apres au service des Dieux. Ces arbitres prudens des affaires du
monde, Bien qu'ils soient tout-puissans, veulent qu'on les seconde, Et
se servent souvent des objets moins parfaits Pour produire icy bas
d'admirables effets. Sçache donc, ô Cesar, quelle est mon entreprise, Tu
la croiras d'abord digne qu'on la mesprise, Mais si ta Majesté la peze
meurement, Elle en verra l'adresse avec estonnement.
DIOCLETIAN.
Quel peut estre ce rare & nouveau stratageme Dont tu veux te servir.
RUTILE.

Tu le verras toy-mesme. Et pourveu qu'à mes soins tu vueilles consentir,
Je pourray m'acquitter & te bien divertir.
DIOCLETIAN.
Que faut-il pour dompter ces coeurs opiniâtres.
RUTILE.
Changer les eschaffauts en superbes Theatres, Et là, leur faire voir dans
la derision L'erreur & les abus de leur Religion, Tu sçais combien,
Genest, cet Illustre Comique A de grace & d'addresse en tout ce qu'il
pratique, Et qu'au gré de sa voix, & de ses actions, Il peut comme il luy
plaist changer nos passions, Esgayer nos esprits, les rendre solitaires,
Amoureux, mesprisans, pitoyables, coleres, Et par un souverain &
merveilleux pouvoir Imprimer en nos coeurs tout ce qu'il nous fait voir,
Commande luy, Seigneur, d'exposer sur la scene Les superstitions d'une
trouppe peu saine Qui se nourrit d'espoir, & pour de faux appas, Quitte
l'heur qui la suit & qui luy tend les bras, Si tu doutes encor des traits de
ta science Tu peux dans ton Palais en faire experience, Et par un coup
d'essay de cét art merveilleux En toy-mesme esprouver ce qu'il pourra
sur eux.
DIOCLETIAN.
Je le veux. Aquillin, faites qu'on me l'amene, Despeschez.
AQUILLIN.
J'obeis.
RUTILE.
Sans qu'il ayt cette peine Ce Garde que voila le peut faire avancer.
DIOCLETIAN.
Est-il là?

RUTILE.
Ouy, Seigneur, je le viens de laisser Avec ses compagnons dans la sale
prochaine Où depuis quelque temps je croy qu'il se promene Attendant
les moyens & la commodité De se venir offrir à vostre Majesté.
DIOCLETIAN.
Qu'il entre.
AQUILLIN.
Garde, allez.
RUTILE.
Cette Troupe est fort belle, Et de plus, pour vous plaire elle a beaucoup
de zele.
UN GARDE.
Le voila.
DIOCLETIAN.
Qu'il advance.

SCENE II.
Genest. Pamphilie. Luciane. Anthenor. Aristide. Diocletian. Aquillin.
Rutile. Un Garde.
GENEST.
Invincible Empereur, Puis que ta Majesté nous accorde l'honneur, De
donner quelquefois aux esbas du Theatre Cette presence Auguste & que
Rome idolatre, Souffre aujourd'huy, Seigneur, que j'expose à tes yeux,
Quelques foibles crayons de tes faits glorieux, Et que par le recit de tes

hautes merveilles Du peuple & de ta Cour nous charmions les oreilles.
Je ne puis, ô Cesar, t'offrir rien de plus beau, Qu'en faisant de
toy-mesme un Illustre tableau, Sans que j'aye recours aux communes
Histoires, Permets moy de parler de tes belles Victoires, Et d'apprendre
aux Romains par tes rares exploits, Combien ils sont heureux de vivre
soubs tes loix: Permets moy d'estaler tes qualitez diverses, Tant de
fameux lauriers emportez sur les Perses, Les Barbares deffaits,
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