Lettres de Marie Bashkirtseff | Page 2

Marie Bashkirtseff
de paysage notamment,--la brume d'octobre au bord de l'eau, les arbres �� demi d��pouill��s, les grandes feuilles jaunes jonchant le sol;--enfin, toute une oeuvre, o�� se cherchait sans cesse, o�� s'affirmait presque toujours le sentiment d'art le plus original et le plus sinc��re, le talent le plus personnel.
Cependant une vive curiosit�� m'appelait vers le coin obscur de l'atelier, o�� j'apercevais confus��ment de nombreux volumes, en d��sordre sur des rayons, ��pars sur une table de travail. Je m'approchai et je regardai les titres. C'��taient ceux des chefs-d'oeuvre de l'esprit humain. Ils ��taient tous l��, dans leur langue originale, les fran?ais, les italiens, les anglais, les allemands, et les latins aussi, et les grecs eux-m��mes; et ce n'��taient point des ?livres de biblioth��que?, comme disent les Philistins, des livres de parade, mais de vrais bouquins d'��tude fatigu��s, us��s, lus et relus. Un Platon ��tait ouvert sur le bureau, �� une page sublime.
Devant ma stup��faction, Mlle Bashkirtseff baissait les yeux; comme confuse et craignant de passer pour p��dante, tandis que sa m��re, pleine de joie, me disait l'instruction encyclop��dique de sa fille, me montrait ses gros cahiers, noirs de notes, et le piano ouvert o�� ses belles mains avaient d��chiffr�� toutes les musiques.
D��cid��ment g��n��e par l'exub��rance de la fiert�� maternelle, la jeune artiste interrompit alors l'entretien par une plaisanterie. Il ��tait temps de me retirer, et, du reste, depuis un instant, j'��prouvais un vague malaise moral, une sorte d'effroi, je n'ose dire un pressentiment. Devant cette pale et ardente jeune fille, je songeais �� quelque extraordinaire fleur de serre, belle et parfum��e jusqu'au prodige, et, tout au fond de moi, une voix secr��te murmurait: ?C'est trop!?
H��las! C'��tait trop en effet.
Peu de mois apr��s mon unique visite rue Amp��re, ��tant loin de Paris, je re?us le sinistre billet encadr�� de noir qui m'apprenait que Mlle Bashkirtseff n'��tait plus. Elle ��tait morte, �� vingt-trois ans, d'un refroidissement pris en faisant une ��tude de plein air.
J'ai revu la maison d��sol��e. La malheureuse m��re, en proie �� une douleur haletante et s��che qui ne peut pas pleurer, m'a montr��, pour la deuxi��me fois, aux m��mes places, les tableaux et les livres; elle m'a parl�� longuement de la pauvre morte, m'a r��v��l�� les tr��sors de bont�� de ce coeur que n'avait point ��touff�� l'intelligence. Elle m'a men��, secou��e par ses sanglots arides, jusque dans la chambre virginale, devant le petit lit de fer, le lit de soldat o�� s'est endormie pour toujours l'h��ro?que enfant. Enfin elle m'a appris que tous les ouvrages de sa fille allaient ��tre expos��s, elle m'a demand��, pour ce catalogue, quelques pages de pr��face, et j'aurais voulu les ��crire avec des mots br?lants comme des larmes.
Mais qu'est-il besoin d'insister aupr��s du public? En pr��sence des oeuvres de Marie Bashkirtseff, devant cette moisson d'esp��rances couch��e par le vent de la mort, il ��prouvera certainement, avec une ��motion aussi poignante que la mienne, l'affreuse m��lancolie qu'inspirent les ��difices ��croul��s avant leur ach��vement, les ruines neuves, �� peine sorties du sol, que le lierre et les fleurs des murailles ne cachent point encore.
Que dire, surtout, �� la m��re, dont le d��sespoir fait mal et fait peur? �� peine ose-t-on la supplier, en lui montrant le Ciel, de d��tourner ses regards de l'impassible nature, qui ne livre �� personne le myst��re de ses lois et ne dit m��me pas si elle a besoin du g��nie naissant d'une jeune fille pour augmenter l'��clat et la puret�� d'une ��toile.
Fran?ois Copp��e.
Paris, 9 f��vrier 1885.

LETTRES
DE
MARIE BASHKIRTSEFF

1868-1874

�� sa tante. 30 juillet 1868[2].
Tr��s ch��re tante Sophie,
Comment allez-vous, ainsi que l'oncle? Hier, nous avions des tableaux vivants: le premier tableau repr��sentait les quatre saisons: Dina repr��sentait l'Hiver; moi, le Printemps; Sophie Kav��rine, l'Automne; Mlle ��lise l'��t��. Dans le second tableau prenaient part Dina et Catherine, soeur de Sophie. Dina repr��sentait la Psych�� regardant l'Amour endormi, et Catherine, l'Amour. Dina avait les cheveux ��pars; c'��tait tr��s joli. Dans le troisi��me tableau, moi et Paul: j'��tais la D��esse des fleurs et Paul le Dieu des fruits. Dans le quatri��me tableau, Dina seule en Na?ade, robe blanche, assise dans le jonc; dans les mains et sous les pieds elle avait l'herbe des rivi��res et le jonc, toute la robe parsem��e de perles en cristal blanc, qui ressemblaient beaucoup aux gouttes d'eau, avec les cheveux ��pars, sur les cheveux parsem��s des perles en cristal. Venez chez nous, �� Tcherniakovka; vous nous manquez. Tout le monde va bien et tout le monde vous embrasse.
Votre ni��ce,
Moussia Bashkirtseff.
[Note 2: Marie Bashkirtseff n'avait pas encore huit ans. Elle est n��e le 11 novembre 1860.]

�� son cousin. 20 f��vrier 1870, Tcherniakovka.
Cher ��tienne,
Je te remercie pour le dessin et pour la lettre. Mes le?ons vont assez bien. Je t'envoie mon dessin, seulement ne le montre �� personne, parce que c'est mal fait. Apr��s ton d��part j'ai fait beaucoup de dessins et il y en a
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