et 
qui ont été jusqu'ici si passionnés pour vous, meurent de faim. La 
culture des terres est presque abandonnée; les villes et la campagne se 
dépeuplent; tous les métiers languissent et ne nourrissent plus les 
ouvriers. Tout commerce est anéanti. Par conséquent vous avez détruit 
la moitié des forces réelles du dedans de votre Etat, pour faire et pour 
défendre de vaines conquêtes au dehors. Au lieu de tirer de l'argent de 
ce pauvre peuple, il faudrait lui faire l'aumône et le nourrir. La France 
entière n'est plus qu'un grand hôpital désolé et sans provision. Les 
magistrats sont avilis et épuisés. La noblesse, dont tout le bien est en 
décret, ne vit que de lettres d'Etat. Vous êtes importuné de la foule des 
gens qui demandent et qui murmurent. C'est vous-même, Sire, qui vous 
êtes attiré tous ces embarras; car, tout le royaume ayant été ruiné, vous 
avez tout entre vos mains, et personne ne peut plus vivre que de vos 
dons. Voilà ce grand royaume si florissant sous un roi qu'on nous
dépeint tous les jours comme les délices du peuple, et qui le serait en 
effet si les conseils flatteurs ne l'avaient point empoisonné. 
Le peuple même (il faut tout dire), qui vous a tant aimé, qui a eu tant de 
confiance en vous, commence à perdre l'amitié, la confiance, et même 
le respect. Vos victoires et vos conquêtes ne le réjouissent plus; il est 
plein d'aigreur et de désespoir. La sédition s'allume peu à peu de toutes 
parts. Ils croient que vous n'avez aucune pitié de leurs maux, que vous 
n'aimez que votre autorité et votre gloire. Si le Roi, dit-on, avait un 
coeur de père pour son peuple, ne mettrait-il pas plutôt sa gloire à leur 
donner du pain, et à les faire respirer après tant de maux, qu'à garder 
quelques places de la frontière, qui causent la guerre? Quelle réponse à 
cela, Sire? Les émotions populaires, qui étaient inconnues depuis si 
longtemps, deviennent fréquentes[3]. Paris même, si près de vous, n'en 
est pas exempt. Les magistrats sont contraints de tolérer l'insolence des 
mutins, et de faire couler sous main quelque monnaie pour les apaiser; 
ainsi on paye ceux qu'il faudrait punir. Vous êtes réduit à la honteuse et 
déplorable extrémité, ou de laisser la sédition impunie et de l'accroître 
par cette impunité, ou de faire massacrer avec inhumanité des peuples 
que vous mettez au désespoir en leur arrachant, par vos impôts pour 
cette guerre, le pain qu'ils tâchent de gagner à la sueur de leurs visages. 
Mais, pendant qu'ils manquent de pain, vous manquez vous-même 
d'argent, et vous ne voulez pas voir l'extrémité où vous êtes réduit. 
Parce que vous avez toujours été heureux, vous ne pouvez vous 
imaginer que vous cessiez jamais de l'être. Vous craignez d'ouvrir les 
yeux; vous craignez d'être réduit à rabattre quelque chose de votre 
gloire. Cette gloire, qui endurcit votre coeur, vous est plus chère que la 
justice, que votre propre repos, que la conservation de vos peuples, qui 
périssent tous les jours de maladies causées par la famine, enfin que 
votre salut éternel incompatible avec cette idole de gloire. 
Voilà, Sire, l'état où vous êtes. Vous vivez comme ayant un bandeau 
fatal sur les yeux; vous vous flattez sur les succès journaliers, qui ne 
décident rien, et vous n'envisagez point d'une vue générale le gros des 
affaires, qui tombe insensiblement sans ressource. Pendant que vous 
prenez, dans un rude combat, le champ de bataille et le canon de
l'ennemi, pendant que vous forcez les places, vous ne songez pas que 
vous combattez sur un terrain qui s'enfonce sous vos pieds, et que vous 
allez tomber malgré vos victoires. 
Tout le monde le voit et personne n'ose vous le faire voir. Vous le 
verrez peut-être trop tard. Le vrai courage consiste à ne se point flatter, 
et à prendre un parti ferme sur la nécessité. Vous ne prêtez volontiers 
l'oreille, Sire, qu'à ceux qui vous flattent de vaines espérances. Les gens 
que vous estimez les plus solides sont ceux que vous craignez et que 
vous évitez le plus. Il faudrait aller au devant de la vérité, puisque vous 
êtes roi, presser les gens de vous la dire sans adoucissement, et 
encourager ceux qui sont trop timides. Tout au contraire, vous ne 
cherchez qu'à ne point approfondir; mais Dieu saura bien enfin lever le 
voile qui vous couvre les yeux, et vous montrer ce que vous évitez de 
voir. Il y a longtemps qu'il tient son bras levé sur vous; mais il est lent à 
vous frapper, parce qu'il a pitié d'un prince qui a été toute sa vie obsédé 
de flatteurs, et parce que, d'ailleurs, vos ennemis sont aussi les siens. 
Mais il saura bien séparer sa cause juste d'avec la vôtre, qui ne l'est pas, 
et vous humilier pour vous    
    
		
	
	
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