bête; et quand je songe aux 
preuves d'attachement qu'il a données à ses jeunes maîtres, et à sa 
conduite si sagement raisonnée en maintes circonstances, je me 
demande comment il se trouve des gens assez hardis ou assez aveugles 
pour refuser aux caniches la faculté de penser. 
Croyez bien, mes petits lecteurs, que Balthasar ne ressemblait en rien à 
ces chiens idiots qu'on voit tous les jours s'attacher au premier venu qui 
veut bien se déclarer leur maître, et sont toujours prêts à s'humilier 
devant la force. De tels chiens ne méritent seulement pas qu'on daigne 
s'occuper d'eux. Quant à lui, il ignorait la bassesse et n'avait point tant 
de servilité dans le coeur au service des hommes. 
Son éducation avait été fort soignée; des maîtres habiles et bien inspirés 
l'avaient doté de nombreux talents, dont Joseph Ledoux tirait alors un 
parti assez avantageux. On ne savait pas en ce temps-là que l'adversité 
obligerait un jour Balthasar à faire un gagne-pain des tours d'adresse et 
de force qu'on lui avait enseignés pour charmer ses loisirs et ceux de 
ses amis. Mais la vie est ainsi faite: personne ne peut répondre de 
l'avenir. On voit tous les jours les gens les mieux partagés sous le 
rapport des richesses passer de l'opulence à la misère avec une rapidité 
bien faite pour donner à réfléchir!... 
Quant à Balthasar, il n'était point tombé d'une hauteur vertigineuse; 
c'était au milieu d'une honnête famille d'artisans, et non dans le chenil 
d'un grand seigneur, que le sort l'avait fait naître. 
Il n'en avait pas moins été très-dur pour lui de se trouver ensuite au 
service d'un bateleur, et surtout d'un bateleur ivrogne et méchant 
comme était Joseph Ledoux. Balthasar, vous le devinez bien, je pense, 
était un chien savant, ou, si vous le préférez, un chien artiste. 
Vous énumérer tous les tours qu'il exécutait serait fastidieux; cependant, 
si cela peut lui procurer une meilleure place dans votre estime, je vous 
apprendrai qu'il sautait à la corde presqu'aussi bien que les plus habiles 
d'entre vous; disait l'heure au public avec l'exactitude d'un cadran 
solaire; mettait bravement le feu à un petit canon de poche, dont 
l'explosion ne le faisait même pas sourciller; savait, rien qu'à
l'inspection de la physionomie, distinguer au milieu d'une foule 
d'enfants celui qui était le plus aimable et le plus docile, et, de sa patte 
droite, battait la mesure avec une précision remarquable lorsque son 
maître jouait du violon. Entre de meilleures mains que celles de Joseph, 
il aurait pu très-certainement se faire connaître et gagner beaucoup 
d'argent. 
Mais je dois, pour être juste, déclarer que l'amour-propre et la cupidité 
n'étaient point son fait, et que si c'eût été pour sa satisfaction 
personnelle et par amour de l'or, jamais il n'eût consenti à prendre une 
sébile entre ses dents et à la tendre humblement à des spectateurs qui, le 
plus souvent, ne donnent leur centime qu'à regret, et par respect humain 
plutôt que pour rétribuer honorablement le savoir et l'adresse. En cela, 
comme en beaucoup d'autres choses, il obéissait à son devoir de 
préférence à ses goûts. 
[Illustration: Il sautait à la corde.] 
Tout naturellement César et Aimée chérissaient Balthasar, dont ils 
connaissaient et appréciaient le dévouement. C'était un vieil ami qu'ils 
avaient toujours vu près d'eux. Ils le soupçonnaient avec raison de les 
avoir précédés dans la vie; et, parfois, lorsqu'il fixait sur leurs jeunes 
visages ses pauvres yeux déjà ternis par l'âge, mais profonds et comme 
tout chargés de souvenirs, ils s'imaginaient que le vieux chien songeait 
à ce passé si obscur que César faisait de vains efforts pour pénétrer. 
Malheureusement Balthasar était incapable de les consoler et de les 
encourager; il ne pouvait que les aimer; c'était quelque chose sans 
doute, mais ce n'était pas assez. Ils le voyaient fort peu, d'ailleurs, car 
ils étaient obligés de se séparer de lui dès le matin pour se rendre où les 
appelait leur occupation, et ne rentraient que le soir presque toujours 
brisés de fatigue et poursuivis par le sommeil. 
Quoi qu'il m'en coûte, mes petits lecteurs, je dois vous faire connaître la 
véritable occupation de César et d'Aimée. Il est donc inutile de vous le 
dissimuler, leur commerce de fleurs n'était qu'un prétexte pour 
demander l'aumône; ils faisaient le honteux métier de mendiants!... Un 
dur métier, croyez-moi, et qui procure tant de misères, d'ennuis et de 
fatigues, que je me demande comment il se trouve des paresseux assez
mal inspirés pour le choisir volontairement. Quant à mes amis, ils ne 
l'avaient point choisi, au contraire; c'était bien malgré eux et tout à fait 
à leur corps défendant qu'ils s'y livraient. Que cette répugnance les 
réhabilite à vos yeux et fasse qu'il se trouve pour eux une toute petite 
place dans un coin de votre coeur. 
[Illustration] 
 
CHAPITRE II. 
Où il est prouvé que    
    
		
	
	
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