la 
finesse ne me manqueront pas. 
--J'entrevois déjà les combinaisons les plus machiavéliques, dit 
Rodolphe en souriant. 
--Mais il faut d'abord les découvrir. Que j'ai hâte d'être à demain! En 
sortant de chez Mme de Lucenay, j'irai à leur ancienne demeure, 
j'interrogerai leurs voisins, je verrai par moi-même, je demanderai des 
renseignements à tout le monde. Je me compromettrai s'il le faut! Je 
serais si fière d'obtenir par moi-même et par moi seule le résultat que je 
désire... Oh! j'y parviendrai... cette aventure est si touchante! Pauvres 
femmes! Il me semble que je m'intéresse encore davantage à elles 
quand je songe à ma fille. 
Rodolphe, ému de ce charitable empressement, souriait avec 
mélancolie en voyant cette femme de vingt ans, si belle, si aimante, 
tâchant d'oublier dans de nobles distractions les malheurs domestiques 
qui la frappaient; les yeux de Clémence brillaient d'un vif éclat, ses 
joues étaient légèrement colorées, l'animation de son geste, de sa parole, 
donnait un nouvel attrait à sa ravissante physionomie. 
 
II 
Le piège
Mme d'Harville s'aperçut que Rodolphe la contemplait en silence. Elle 
rougit, baissa les yeux, puis, les relevant avec une confusion charmante, 
elle lui dit: 
--Vous riez de mon exaltation, monseigneur! C'est que je suis 
impatiente de goûter ces douces joies qui vont animer ma vie, jusqu'à 
présent triste et inutile. Tel n'était pas sans doute le sort que j'avais 
rêvé... Il est un sentiment, un bonheur, le plus vif de tous... que je ne 
dois jamais connaître. Quoique bien jeune encore, il me faut y 
renoncer!... ajouta Clémence avec un soupir contraint. Puis elle reprit: 
Mais enfin, grâce à vous, mon sauveur, toujours grâce à vous, je me 
serai créé d'autres intérêts; la charité remplacera l'amour. J'ai déjà dû à 
vos conseils de si touchantes émotions! Vos paroles, monseigneur, ont 
tant d'influence sur moi!... Plus je médite, plus j'approfondis vos idées, 
plus je les trouve justes, grandes, fécondes. Puis, quand je songe que, 
non content de prendre en commisération des peines qui devraient vous 
être indifférentes, vous me donnez encore les avis les plus salutaires, en 
me guidant pas à pas dans cette voie nouvelle que vous avez ouverte à 
un pauvre coeur chagrin et abattu... oh! monseigneur, quel trésor de 
bonté renferme donc votre âme? Où avez-vous puisé tant de généreuse 
pitié? 
--J'ai beaucoup souffert, je souffre encore... voilà pourquoi je sais le 
secret de bien des douleurs! 
--Vous, monseigneur, vous malheureux! 
--Oui, car l'on dirait que, pour me préparer à compatir à toutes les 
infortunes, le sort a voulu que je les subisse toutes... Ami, il m'a frappé 
dans mon ami; amant, il m'a frappé dans la première femme que j'ai 
aimée avec l'aveugle confiance de la jeunesse; époux, il m'a frappé dans 
ma femme; fils, il m'a frappé dans mon père; père, il m'a frappé dans 
mon enfant. 
--Je croyais, monseigneur, que la grande-duchesse ne vous avait pas 
laissé d'enfant. 
--En effet; mais avant mon mariage j'avais une fille, morte toute petite...
Eh bien! si étrange que cela vous paraisse, la perte de cette enfant, que 
j'ai vue à peine, est le regret de toute ma vie. Plus je vieillis, plus ce 
chagrin devient profond! Chaque année en redouble l'amertume; on 
dirait qu'il grandit en raison de l'âge que devrait avoir ma fille. 
Maintenant elle aurait dix-sept ans! 
--Et sa mère, monseigneur, vit-elle encore? demanda Clémence après 
un moment d'hésitation. 
--Oh! ne m'en parlez pas, s'écria Rodolphe, dont les traits se 
rembrunirent à la pensée de Sarah. Sa mère est une indigne créature, 
une âme bronzée par l'égoïsme et par l'ambition. Quelquefois je me 
demande s'il ne vaut pas mieux pour ma fille d'être morte que d'être 
restée aux mains de sa mère. 
Clémence éprouva une sorte de satisfaction en entendant Rodolphe 
s'exprimer ainsi. 
--Oh! je conçois alors, s'écria-t-elle, que vous regrettiez doublement 
votre fille. 
--Je l'aurais tant aimée!... Et puis il me semble que chez nous autres 
princes il y a toujours dans notre amour pour un fils une sorte d'intérêt 
de race et de nom, d'arrière-pensée politique. Mais une fille! une fille! 
on l'aime pour elle seule. Par cela même que l'on a vu, hélas! l'humanité 
sous ses faces les plus sinistres, quelles délices de se reposer dans la 
contemplation d'une âme candide et pure! de respirer son parfum 
virginal, d'épier avec une tendresse inquiète ses tressaillements ingénus! 
La mère la plus folle, la plus fière de sa fille, n'éprouve pas ces 
ravissements; elle lui est trop pareille pour l'apprécier, pour goûter ces 
douceurs ineffables; elle appréciera bien davantage les mâles qualités 
d'un fils vaillant et hardi. Car enfin ne trouvez-vous pas que ce qui rend 
encore plus touchant peut-être l'amour d'une mère pour son fils, l'amour 
d'un père pour sa fille, c'est que dans ces affections il y a un être faible 
qui a toujours besoin de protection?    
    
		
	
	
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