à le déshabiller. 
En un tour de main, Shoking fut débarrassé de ses guenilles, chaussé de 
pantoufles de liége, enveloppé dans un peignoir de toile fine, et il
n'avait pas eu le temps de crier ouf qu'il était dans le bain. 
--Pendant ce temps-là, dit alors le valet, je vais peigner et coiffer Votre 
Honneur. 
Et il se mit à la besogne. 
Shoking le laissa faire et il éprouva des voluptés infinies à sentir ses 
membres se dilater sous la douce chaleur du bain, tandis qu'un peigne 
courait dans ses cheveux blonds et déjà grisonnants. 
Un quart d'heure après, Shoking sortait du bain. Ses loques avaient 
disparu. 
Mais il y avait sur une chaise de beaux habits tout neufs, une chemise 
de batiste, une cravate blanche, un gilet à boutons de métal, et le valet, 
impassible, se mit à l'habiller aussi gravement que s'il n'eût jamais fait 
autre chose. 
Puis, la toilette terminée, il le conduisit devant une grande glace à pivot 
mobile. 
Et Shoking recula ébloui. 
Il avait l'air d'un pair d'Angleterre, il était frisé, parfumé, tiré à quatre 
épingles, et sa longue figure famélique avait même un air de singulière 
distinction. 
Le valet reprit le flambeau et dit: 
--Maintenant, Votre Honneur veut-il descendre à la salle à manger? 
Mais Shoking fut pris d'une résolution subite, et regardant le valet face 
à face: 
--Ah! ça, drôle, dit-il, m'expliqueras-tu... 
--Que désire savoir Votre Honneur?
--D'abord, qui tu es? 
--Je me nomme John, et je suis le valet de chambre de Votre Honneur. 
--Bon! et où suis-je? 
--Mais Votre Honneur est chez lui. 
--Allons donc! 
--Aussi vrai que je me nomme John et que Votre Seigneurie... 
--Voici que tu m'appelles Seigneurie, maintenant? 
--Sans doute. C'est le titre qui appartient à lord Vilmot. 
--Hein! qu'est-ce que cela? 
--C'est le nom de Votre Seigneurie. 
--Imbécile! dit Shoking, ne sais-tu donc pas qui je suis? 
--Lord Vilmot, répéta le valet. 
--Mais non; je m'appelle Shoking. 
--Shoking est mort! dit une voix sur le seuil. 
Shoking se tourna et aperçut l'homme gris. 
Lui aussi, avait fait un bout de toilette et remplacé ses guenilles par des 
vêtements de gentleman. 
Il était même aussi correctement vêtu que le jour où, sous le nom de 
lord Cornhill, il s'était présenté dans Kilburn square pour visiter la 
maison de M. Thomas Elgin. 
Shoking demeura bouche béante devant l'homme gris, qu'il n'avait 
jamais vu ainsi vêtu.
--Viens souper, lui dit celui-ci, et je t'expliquerai comment lord Vilmot 
est entré dans la peau de Shoking. 
Le pauvre diable fit un pas vers la porte; mais le valet de chambre le 
retint par un geste respectueux: 
--Je crois, dit-il, que Votre Seigneurie oublie de prendre de l'argent. 
Ce mot produisit sur Shoking l'effet d'une douche d'eau glacée qui lui 
serait tombée sur la tête. 
--De... l'argent!... balbutia-t-il. 
--De l'argent, répéta le valet. 
--Et où veux-tu que j'en prenne? 
--Dans ton secrétaire, parbleu! dit l'homme gris, qui riait toujours. 
Et il montrait dans un coin du cabinet de toilette un joli meuble de 
boule. 
La clé était dans la serrure. 
Shoking se décida à porter une main tremblante sur cette clé qui tourna. 
Le meuble s'ouvrit. 
--Bon! fit l'homme gris. Ouvre ce tiroir, à présent. 
Shoking obéit encore. 
Et soudain il fit un pas en arrière 
Le tiroir était plein d'or. 
--Oh! fit-il, c'est à devenir fou! 
--Soit, dit l'homme gris, mais, en attendant, mets quelques guinées dans
ta poche. 
Et Shoking plongea une main fiévreuse dans le tiroir. 
Cependant comme l'or brûle les mains de ceux qui n'ont pas l'habitude 
d'y toucher, le pauvre diable se montra discret; il prit cinq ou six 
guinées seulement et les glissa dans sa poche avec hésitation. 
L'homme gris souriait toujours. 
Il prit Shoking par le bras et l'entraîna. 
Quand ils furent hors du cabinet de toilette, il lui dit: 
--As-tu faim? 
--Je ne sais pas, répondit Shoking. 
--Et soif? 
--Pas d'avantage. 
Shoking ne savait même plus s'il était mort ou vivant: comment 
aurait-il pu savoir s'il avait soif ou faim? 
Ils arrivèrent dans le parloir où la table était dressée. 
Mais l'Irlandaise et son fils ne s'y trouvaient plus. 
--Où sont-ils donc? demanda naïvement Shoking. 
--Couchés, répondit l'homme gris. 
--Ici? 
--Parbleu! 
Alors le mendiant eut un accès de raison:
--Maître, dit-il, depuis que je me suis attaché à vous, je vous ai 
loyalement servi. 
--C'est vrai, dit l'homme gris. 
--Ai-je donc mérité que vous vous moquiez ainsi de moi? 
--Mais je ne me moque pas, dit l'homme gris en se mettant à table. 
--Vrai? 
Et Shoking se mit à table à son tour en disant: 
--Je crois que j'ai faim. 
--Et je parie que tu as soif. 
Sur ce mot, l'homme gris lui versa à boire. 
--Un nectar! dit Shoking qui vida son verre d'un trait. 
Puis il avisa sur un coin de la table une écritoire, du papier    
    
		
	
	
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