Suzannah, quand M. Thomas Elgin entre chez lui et 
qu'il ouvre cette porte, comment fait-il pour empêcher le pistolet de 
partir. 
--Voilà, dit Bulton, la seule chose que je n'aie pu trouver. Je me suis 
bien cassé la tête, mais je n'ai pu y parvenir. 
--Alors, le vol est impossible. 
--Oui et non. 
--Comment cela? 
--Suppose un moment que le guichet est assez large pour que j'y puisse 
passer le bras. 
--Bon. 
--Je promène ma main le long de la porte, en dedans, jusqu'à ce que 
j'aie trouvé une corde. 
--Qu'est-ce que cette corde? 
--Celle qui, tirée violemment par une poulie, si la porte s'ouvrait, et 
attachée à la détente du pistolet qui est placé sur un affût, le ferait 
partir. 
--Après? dit Suzannah. 
--La corde est lâche, comme tu le penses bien il faut que la porte 
s'ouvre à moitié pour qu'elle se tende et pèse sur la détente, sans cela la 
balle, chassée trop vite, rencontrerait la porte et non le le corps du 
voleur. 
--Je comprends.
--Ma main rencontre donc la corde et comme elle est munie d'une paire 
de ciseaux, elle la coupe. 
--Ah! j'y suis. 
--Mais, dit Bulton, j'ai la main trop grosse, et toi aussi; et il n'y a qu'une 
main d'enfant, celle du petit, par exemple, qui puisse... 
--Écoute, dit Suzannah, si tu me jures que, ce vol accompli, nous 
rendrons l'enfant à sa mère, je ne m'opposerai pas à ton projet. 
--Je te le promets. 
--Mais, dit encore Suzannah, probablement en rentrant chez lui avec de 
l'argent, le samedi soir, M. Thomas Elgin ne sort plus. 
--Au contraire. Quand il a refermé sa caisse, disposé son pistolet et pris 
toutes ses précautions, il s'en retourne passer sa soirée à Londres, tantôt 
dans les galeries de l'Alhambra, dans Leicester square, tantôt à 
Argyll-Rooms, ou bien encore au théâtre du Lycéum. C'est donc entre 
neuf et dix heures du soir qu'il faudrait faire le coup, car c'est demain 
samedi. 
--Mais que ferons-nous de l'enfant, d'ici-là? 
--Je me charge de le faire patienter, dit Bulton. 
--Tu le battras? demanda Suzannah d'une voix tremblante. 
--Pas du tout. 
--Tu me le promets? 
--Je te le jure. 
--Mais comment feras-tu? 
--Tu le verras...
Et le bandit et la femme perdue s'endormirent à leur tour. 
 
V 
Un de ces pâles rayons de jour, qui se dégageait péniblement du 
brouillard, pénétrait dans la chambre de Suzannah l'Irlandaise, 
lorsqu'elle s'éveilla. 
Bulton était déjà levé. 
L'enfant dormait encore, brisé qu'il était par la fatigue de la veille. 
Bulton était assis auprès de la fenêtre et paraissait fort occupé. 
Son occupation consistait à limer et à polir un trousseau de clefs, dont 
chacune portait une petite ficelle de couleur différente, étiquettes 
mystérieuses, intelligibles pour lui seul. 
Malgré le grincement de la lime, Ralph était immobile sur son lit 
improvisé. 
--Pauvre petit! dit Suzannah en le regardant. 
Et elle avisa ses chaussures, couvertes de cette boue noire qui est 
particulière à Londres. 
--Comme il a dû marcher! dit-elle. 
Bulton se mit à rire. 
--Tu serais une bien bonne mère de famille, ma chère, dit-il. 
--Et toi, répondit Suzannah, qui vint entourer de ses bras blancs le cou 
musculeux du bandit, tu es meilleur que tu n'en as l'air. Je parie que tu 
prendrais cet enfant en affection. 
--La preuve en est, répondit Bulton, que je voudrais le garder.
--Oh! non, répondit Suzannah, il ne faut pas faire cela... D'ailleurs, tu 
me l'a promis, n'est-ce pas? 
--Je te le promets encore, mais quand il aura coupé la corde. 
--Soit, dit Suzannah. Cependant j'ai envie de faire une chose. 
--Laquelle? 
--De m'en aller errer, toute seule, aux environs de Saint-Gilles. 
--Pourquoi faire? 
--Et de m'enquérir adroitement si on n'a pas perdu un enfant... si on ne 
connaît pas quelque pauvre mère en pleurs... si... 
--Il sera toujours temps de faire cela demain. 
--Pourquoi pas aujourd'hui? 
--Je te le répète, parce que nous avons besoin de l'enfant ce soir. 
Ensuite, suppose qu'en ton absence il s'éveille... 
--Bon! 
--Ne te voyant plus, il se mettra à pleurer et voudra s'en aller. Tu sais 
que je ne suis pas patient. 
--Non, certes, répondit Suzannah, et tu le battras. Oui, tu as raison, il 
vaut mieux que je reste, mais comment le faire patienter jusqu'à 
demain? 
--Quand il s'éveillera, il aura faim. 
--Soit. 
--Il aura soif... 
--Eh bien?
--Tu sais bien que lorsque, nous autres voleurs, nous voulons griser et 
endormir les gens, c'est très-facile: deux gouttes de gin mélangé de 
bitter dans un pot de bière brune, et le tour est fait. 
--Tais-toi, dit Suzannah. 
Et elle jeta un regard rapide sur Ralph, qui venait de s'agiter 
légèrement. 
En effet peu après, l'enfant ouvrit les yeux et prononça un mot: 
«Maman.» 
Suzannah s'approcha de lui et le prit dans ses bras. 
--Ta mère, mon enfant, dit-elle, je t'ai promis que nous la    
    
		
	
	
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