Les huguenots | Page 3

Charles Alfred de Janzé
Les candidats monarchistes
se sont bien gardés de montrer le plus petit coin de leur drapeau, et,
sans demander aux électeurs de manifester leurs préférences pour telle
ou telle dynastie, ils se sont bornés, qu'ils fussent bonapartistes,
légitimistes ou orléanistes, à protester à l'envi de leur dévouement à la
cause de l'Église. Il est vrai que dans les petits papiers anonymes
distribués par le clergé à profusion, on disait aux électeurs des
campagnes que voter pour les républicains, qui veulent assujettir les
séminaristes au service militaire, c'était voter pour le Démon, tandis
que nommer les monarchistes, partisans masqués de la théocratie,
c'était voter pour Jésus-Christ.
Mais les politiques, comprenant qu'une telle plate-forme électorale
n'avait aucune chance de succès devant le pays, ont tenté d'obtenir une
surprise du scrutin, en posant aux électeurs cette question: voulez-vous
qu'on renonce à une politique qui a provoqué la crise agricole et
industrielle dont vous souffrez, et qui, par les dépenses exagérées et les
expéditions lointaines, a mis le désordre dans les finances publiques?
Le suffrage universel ainsi consulté, a nommé deux cents de ceux qui
lui signalaient le mal, non parce qu'ils étaient artisans de la monarchie,
mais parce qu'il a cru qu'ils seraient plus aptes que d'autres à guérir les
maux qu'ils signalaient.
Mais, dès le lendemain de leur élection, ces partisans de la théocratie
ont jeté le masque et annoncé tranquillement aux électeurs, de quelle

singulière façon ils comptaient remplir le mandat qu'ils venaient de
recevoir, le mandat de rendre aux pays sa prospérité et de rétablir le
bon ordre dans nos finances.
«Nous n'avons pas combattu, ont-ils dit, pour telle ou telle politique,
mais pour jeter bas la république: nous ne l'avons pas dit comme
candidats, mais maintenant nous n'avons plus à nous gêner. Nous
rendrons tout ministère impossible jusqu'à ce qu'on dissolve la
Chambre; si, après la dissolution, les monarchistes reviennent en
majorité à la Chambre, ils jetteront le sénat par la fenêtre, si le sénat
s'avise de s'opposer à leurs desseins révolutionnaires. Peut-être même,
ont-ils ajouté, alors que les monarchistes sont encore en minorité, à la
chambre des députés comme au sénat, faudra-t-il, pour hâter la chute de
la République, la pousser avec la crosse d'un fusil ou le fer d'une
fourche.»
Il est fort à présumer que si la minorité monarchiste haussait demain
son courage jusqu'à l'audace d'un coup de main, elle n'aimait pas à se
féliciter de l'avoir fait. À je ne sais quel gascon de Bruxelles qui
menaçait de faire envahir la France par l'armée belge, on se bornait à
répondre: et les douaniers! De même aux monarchistes qui parlent de
mettre le pied sur la gorge de la République, on peut répondre: et les
gendarmes! Mais il faut admettre toutes les hypothèses. Si, par
impossible, un des prétendants à la couronne se trouvait violemment
hissé sur les débris du trône de France, qu'arriverait-il?
Le nouveau souverain, roi ou empereur, ne pouvant rien sans l'Église,
mis, par elle, en demeure de rendre au régime catholique la puissance
des anciens jours, ne tarderait pas à succomber dans sa vaine tentative
de ressusciter un passé mort et bien mort. La preuve la plus péremptoire
de la certitude de l'échec qui l'attendrait, c'est l'accueil fait par les
monarchistes eux-mêmes, à la proposition imprudemment faite par Mr
de Mun de constituer une ligue politico-religieuse pour préparer la
restauration du gouvernement des curés. Considérer comme un droit de
l'Église, l'exemption du service militaire pour les séminaristes, imposer
le repos du dimanche, substituer le mariage religieux au mariage civil,
réclamer la liberté de tester, en bon Français, le rétablissement du droit

d'aînesse, etc., ce sont là de ces choses qu'on peut tenter d'accomplir
dans l'ombre, quand on a le pouvoir, mais que l'on ne doit pas avoir la
naïveté de demander publiquement à l'avance!
Le souverain improvisé qui, plagiaire de Louis XIV, voudrait se faire
l'exécuteur des hautes oeuvres de l'Église catholique, serait peut-être,
dès le premier jour, tué par l'arme irrésistible du ridicule; peut-être, au
contraire, avant de franchir la frontière en toute hâte, aurait-il multiplié
les ruines et fait couler les flots de sang.
Dans un cas comme dans l'autre, et quelque mal qu'il eut pu faire à la
France, il se trouverait des sous-Massillon pour le louer de ne pas s'être
laissé arrêter dans, son entreprise par les vues timides de la sagesse
humaine, et des sous-Veuillot pour affirmer que les victimes de son
intolérance ne sont pas à plaindre, mais que c'est lui qui, comme, Louis
XIV, a été le vrai martyr, parce qu'il a sacrifié à sa foi la prospérité de
son royaume.
Je termine ce travail, au moment où le bicentenaire de l'édit de
révocation vient de rappeler à la mémoire de tous; cette année 1685, si
cruelle pour les défenseurs de la liberté de conscience, ainsi que
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