sages. 
[Note 1: L'abbé Le Gendre très-instruit des choses du temps et 
confident d'Henri de Chauvallon, affirme que Louis XIV «savait à 
peine lire et écrire.» (Mag. de librairie, 1859.) Ce qu'on appelle la main 
de Louis XIV est, dit M. Michelet, le bonhomme Rose, son faussaire 
patenté, dont l'écriture ne peut se distinguer de celle du roi.] 
«Trancher,» tel est selon lui le dernier mot du métier de roi. Aussi, 
voyez comme il tranche! pourquoi? parce que tel est son bon plaisir. 
Pourquoi une décision plutôt qu'une autre? parce que ce jour-là plus 
pénible est la digestion, ou que la Montespan fait la moue, ou que 
Lauzun devient insupportable. La cause est toujours personnelle. 
Les autres hésitent, se consultent; lui, jamais. À quoi donc servirait la 
supériorité de son essence! il a reçu l'omniscience avec la couronne. 
Lorsqu'il est au conseil, Dieu le père descend du ciel tout exprès pour 
l'inspirer. Vous avez cru entendre le roi, Dieu lui-même parlait.
Dans un curieux Manuel, Ad usum Delphini, Louis XIV a pris la peine 
de nous révéler ces faits surprenants. C'est dans ce manuel qu'il faut 
chercher le grand roi. Là seulement on le voit sans la perruque si pleine 
de majesté, qui partout ailleurs ne le quitte pas. 
C'est là qu'il apprend à son successeur qu'un roi possède en toute 
propriété la vie et les biens de ses sujets, qu'il peut à son gré disposer de 
l'argent de sa cassette et de l'argent des impôts, et même de l'argent 
qu'il condescend à laisser en circulation dans le commerce. 
Morale étrange, inouïe, monstrueuse, qui fut cependant la morale de 
Louis XIV, et dont les articles soigneusement enregistrés devinrent 
comme le code des rois du droit divin! 
Mais qui pourrait se faire une idée de l'orgueil du grand roi? C'est lui 
qui disait un jour à un évêque: 
--«Soyez tranquille, monseigneur, nous vous saurons gré, Dieu et moi, 
de votre conduite.» 
Il nomme Dieu le premier, il est vrai, mais c'est pure politesse de sa 
part. 
Mazarin croyait découvrir, dans Louis XIV encore enfant «assez 
d'étoffe pour faire trois grands souverains et un honnête homme.» On 
ne saurait trop se défier des opinions de Mazarin, il se trompe souvent 
lorsqu'il ne cherche pas à tromper les autres, et ses théories sur l'art de 
régner sont au moins singulières. N'est-ce pas lui qui, faisant 
ouvertement profession de fourberie et de mensonge, disait, en parlant 
du jeune roi: «Il sait régner déjà, puisqu'il sait dissimuler[2].» Cet 
axiome fameux n'est pas tombé dans l'eau. 
[Note 2: Ce mot a été aussi attribué à un fils du maréchal de Villeroy, 
archevêque de Lyon.] 
Mazarin n'est pas étranger aux fautes de Louis XIV; il avait tenu son 
élève éloigné de toutes les affaires; il l'avait entouré de jeunes favoris 
chargés de le détourner de tout travail, de toute application sérieuse;
tâche facile! L'habile ministre n'avait pas fait alors avec la maladie le 
compte de ses jours; il croyait avoir longtemps encore à vivre, et il 
cherchait à façonner un autre Louis XIII, qui lui permît de continuer le 
règne du grand Richelieu. 
En mourant, le cardinal laissa cependant un bel héritage à Louis XIV, 
non pas les quinze millions qui servirent à préparer la ruine du fastueux 
Fouquet, mais un trésor bien autrement précieux, Colbert. 
Colbert, voilà en effet l'homme des belles années de Louis XIV. Mais il 
ne comptait pas alors; on ne voyait en lui que l'instrument aveugle, le 
bras qui exécute. On ne voulait pas savoir qu'il était l'inspiration aussi. 
En cela consiste l'habileté suprême du grand ministre; il laissa à son 
maître l'honneur de toutes les grandes déterminations, et Louis XIV 
pouvait penser qu'à lui seul appartenait toute initiative. 
Aussi qu'advient-il le jour où le gouvernail échappe aux mains si 
fermes et si habiles de Colbert? Où donc va le vaisseau et quel est le 
pilote? Est-ce Louvois, si puissant pour le mal? est-ce l'incapable 
Phélippeaux, Barbezieux le débauché, ou Chamillard, qui gouvernent 
toutes voiles dehors vers l'abîme? Non, cette fois, c'est Louis XIV. 
L'ingratitude la plus noire paya Colbert de ses travaux; le roi se réjouit 
de perdre ce ministre qui, plus d'une fois, avait osé faire des 
représentations, et même, chose incroyable, résister en face. 
Aussi les remords et les regrets vinrent assaillir Colbert à son lit 
d'agonie. Il se mourait lorsqu'on lui apporta une lettre du roi; il refusa 
de la lire: 
--«Je ne veux plus, s'écria-t-il, entendre parler de cet homme; qu'il me 
laisse mourir en paix. Si j'avais fait pour Dieu la moitié de ce que j'ai 
fait pour lui, je serais sauvé dix fois; et maintenant, sais-je où je 
vais!...» 
Le peuple, ingrat, aveugle, imbécile, le peuple fit comme le roi, il se 
réjouit. Il vint danser sur la tombe de celui qui avait été son ami, son    
    
		
	
	
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