M. Mittler vient d'entrer au galop 
dans la cour du chateau. Sans se donner le temps de mettre pied a terre, 
il nous a tous rassembles par ses cris: Allez! courez! nous a-t-il dit, 
appelez votre maitre et votre maitresse, demandez-leur s'il y a vraiment 
peril dans la demeure, entendez-vous, s'il y a peril dans la demeure? 
Vite, vite, courez! 
--Le drole d'homme, dit Edouard, il me semble pourtant qu'il arrive a 
propos, qu'en penses-tu, Charlotte? Dis a notre ami, continua-t-il en 
s'adressant au domestique, qu'il y a, en effet, peril dans la demeure, et 
que nous te suivons de pres. En attendant, conduis-le dans la salle a 
manger, fais-lui servir un bon dejeuner, et n'oublie pas son cheval. 
Puis il pria sa femme de se rendre avec lui au chateau par le chemin le 
plus court. Ce chemin traversait le cimetiere, aussi ne le prenait-il 
jamais que lorsqu'il y etait force. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il 
vit que la, aussi, Charlotte avait su prevenir ses desirs et deviner ses
sentiments! En menageant autant que possible les anciens monuments 
funeraires, elle avait fait niveler le terrain, et tout dispose de maniere 
que cette enceinte lugubre n'etait plus qu'un enclos agreable, sur lequel 
l'oeil et l'imagination se reposaient avec plaisir. 
Rendant a la pierre la plus ancienne l'honneur qui lui etait du, elle les 
avait fait ranger toutes, par ordre de date, le long de la muraille; 
plusieurs d'entre elles meme avaient servi a orner le socle de l'eglise. A 
cette vue, Edouard agreablement surpris pressa la main de Charlotte, et 
ses yeux se remplirent de larmes. 
Leur hote extravagant ne tarda pas a les faire partir de ce lieu. N'ayant 
pas voulu les attendre au chateau, il donna de l'eperon a son cheval, 
traversa le village et s'arreta a la porte du cimetiere d'ou il leur adressa 
ces paroles en criant de toutes ses forces. 
--Est-ce que vous ne vous moquez pas de moi? y a-t-il vraiment peril! 
en la demeure? En ce cas je reste a diner avec vous, mais ne me retenez 
pas en vain, j'ai encore tant de choses a faire aujourd'hui. 
--Puisque vous vous etes donne la peine de venir jusqu'ici, dit Edouard 
sur le meme ton, faites quelques pas de plus, et voyez comment 
Charlotte a su embellir ce lieu de deuil. 
--Je n'entrerai ici ni a pied, ni cheval, ni en carrosse, repondit le cavalier; 
je ne veux rien avoir a demeler avec ceux qui dorment la, en paix; c'est 
deja bien assez que d'etre oblige de souffrir qu'un jour on m'y porte les 
pieds en avant. Allons, voyons, avez-vous serieusement besoin de moi? 
--Tres-serieusement, repondit Charlotte. C'est pour la premiere fois, 
depuis notre mariage, que mon mari et moi, nous nous trouvons dans 
un embarras dont nous ne savons comment nous tirer. 
--Vous ne m'avez pas l'air d'etre reduits a cette extremite-la; mais 
puisque vous le dites, je veux bien le croire. Si vous m'avez prepare une 
deception, je ne m'occuperai plus jamais de vous. Suivez-moi aussi vite 
que vous le pourrez; je ralentirai le pas de mon cheval, cela le reposera. 
Arrives dans la salle a manger ou le dejeuner etait servi, Mittler raconta 
avec feu ce qu'il avait fait et ce qu'il lui restait encore a faire dans le 
courant de la journee. 
Cet homme singulier avait ete pendant sa jeunesse ministre d'une 
grande paroisse de campagne, ou, par son infatigable activite, il avait 
apaise toutes les querelles de menage et termine tous les proces. Tant 
qu'il fut dans l'exercice de ses fonctions, il n'y eut pas un seul divorce
dans sa paroisse, et pas un proces ne fut porte devant les tribunaux. 
Pour atteindre ce but il avait ete force d'etudier les lois, et il etait 
devenu capable de tenir tete aux avocats les plus habiles. Au moment 
ou le gouvernement venait d'ouvrir les yeux sur son merite, et allait 
l'appeler dans la capitale, afin de le mettre a meme d'achever, dans une 
sphere plus elevee, le bien qu'il avait commence dans son modeste 
cercle d'activite, le hasard lui fit gagner a la loterie une somme qu'il 
employa aussitot a l'achat d'une petite terre ou il resolut de passer sa vie. 
S'en remettant, pour l'exploitation de cette terre, aux soins de son 
fermier, il se consacra tout entier a la tache penible d'etouffer les haines 
et les mesintelligences des leur point de depart. A cet effet, il s'etait 
promis de ne jamais s'arreter sous un toit ou il n'y avait rien a calmer, 
rien a apaiser, rien a reconcilier. Les personnes qui aiment a trouver des 
indices prophetiques dans les noms propres soutenaient qu'il avait ete 
predestine a cette carriere parce qu'il s'appelait Mittler (_mediateur_). 
On servit le dessert et Mittler pria serieusement les epoux de ne pas 
retarder davantage    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.