ne craint pas d'y puiser. 
Dans le cours de notre vie, nous nous sommes rendu tant de services, 
qu'il nous sera toujours impossible d'arreter definitivement nos comptes. 
Son seul chagrin est de se voir reduit a l'inaction, car il ne connait 
d'autre bonheur que d'employer utilement ses hautes facultes. Que lui 
reste-t-il a faire desormais? se plonger dans l'oisivete ou acquerir des 
connaissances nouvelles, quand celles qu'il possede si completement lui 
sont devenues inutiles? En un mot, chere enfant, il est tres-malheureux, 
et l'isolement dans lequel il vit augmente son malheur. 
--Mais je l'ai recommande a nos connaissances, a nos amis; ces
recommandations ne sont pas restees sans resultat; on lui a fait des 
offres avantageuses. 
--Cela, est vrai; mais ces offres augmentent son tourment, car aucune 
d'elles ne lui convient. Ce n'est pas l'utile emploi, c'est l'abnegation de 
ses principes, de ses capacites, de sa maniere d'etre qu'on lui demande. 
Un pareil sacrifice est au-dessus de ses forces. Plus je reflechis sur tout 
cela, plus je sens le desir de le voir pres de nous. 
--Il est beau, il est genereux de ta part de t'interesser ainsi au sort d'un 
ami; mais permets-moi de te rappeler que tu dois aussi quelque chose a 
toi-meme, a moi. 
--Je ne l'ai pas oublie, mais je suis convaincu que le capitaine sera pour 
nous une societe aussi utile qu'agreable. Je ne parlerai pas des depenses 
qu'il pourrait nous occasionner, puisque son sejour ici les diminuerait 
au lieu de les augmenter. Quant a l'embarras, je n'en prevois aucun. 
L'aile gauche de notre chateau est inhabitee, il pourra s'y etablir comme 
il l'entendra, le reste s'arrangera tout seul. Nous lui rendrons un service 
immense, et il nous procurera a son tour plus d'un plaisir, plus d'un 
avantage. J'ai depuis longtemps le desir de faire lever un plan exact de 
mes domaines, il dirigera ce travail. Tu veux faire cultiver toi-meme 
nos terres, des que les baux de nos fermiers seront expires; mais 
avons-nous les connaissances necessaires pour une pareille entreprise? 
lui seul pourra nous aider a les acquerir; je ne sens que trop combien 
j'ai besoin d'un pareil ami. Les agronomes qui ont etudie cette matiere 
dans les livres et dans les etablissements speciaux, raisonnent plus 
qu'ils n'instruisent, car leurs theories n'ont pas passe au creuset de 
l'experience; les campagnards tiennent trop aux vieilles routines, et 
leurs enseignements sont toujours confus, et souvent meme 
volontairement faux. Mon ami reunit l'experience a la theorie sur ce 
point, et sur une foule d'autres dont je me promets les plus heureux 
resultats, surtout par rapport a toi. Maintenant je te remercie de 
l'attention avec laquelle tu as bien voulu m'ecouter; dis-moi a ton tour 
franchement ce que tu penses, je te promets de ne pas t'interrompre. 
--Dans ce cas, repondit Charlotte, je debuterai par une observation 
generale. Les hommes s'occupent surtout des faits isoles et du present, 
parce que leur vie est tout entiere dans l'action, et par consequent dans 
le present. Les femmes, au contraire, ne voient que l'enchainement des 
divers evenements, parce que c'est de cet enchainement que depend
leur destinee et celle de leur famille, ce qui les jette naturellement dans 
l'avenir et meme dans le passe. Associe-toi un instant a cette maniere 
de voir, et tu reconnaitras que la presence du capitaine chez nous, 
derangera la plupart de nos projets et de nos habitudes. 
--J'aime a me rappeler nos premieres relations, continua-t-elle, et, 
surtout, a t'en faire souvenir. Dans notre premiere jeunesse, nous nous 
aimions tendrement; et l'on nous a separes parce que ton pere, ne 
comprenant d'autre bonheur que la fortune, te fit epouser une femme 
agee, mais riche; le mien me maria avec un homme que j'estimais sans 
pouvoir l'aimer, mais qui m'assura une belle position. Nous sommes 
redevenus libres, toi le premier, et ta femme, qu'on aurait pu appeler ta 
mere, te fit l'heritier de son immense fortune. Tu profitas de ta liberte 
pour satisfaire ton amour pour les voyages; a ton retour j'etais veuve. 
Nous nous revimes avec plaisir, avec bonheur. Le passe nous offrait 
d'agreables souvenirs, nous aimions ces souvenirs, et nous pouvions 
impunement nous y livrer ensemble. Tu m'offris ta main, j'hesitai 
longtemps ... Nous sommes a peu pres du meme age; les femmes 
vieillissent plus vite que les hommes; tu me paraissais trop jeune ... 
Enfin, je n'ai pas voulu te refuser ce que tu regardais comme ton unique 
bonheur ... Tu voulais te dedommager des agitations et des fatigues de 
la cour, de la carriere militaire et des voyages; tu voulais jouir enfin de 
la vie a mes cotes, mais avec moi seule. 
Je me resignai a placer ma fille unique dans un pensionnat, ou elle 
pouvait, au reste, recevoir une education plus convenable qu'a la 
campagne. Je pris le meme parti pour ma chere niece Ottilie,    
    
		
	
	
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