; et je ne
puis même obtenir la liberté de dire deux mots pour justifier mes 
intentions sur le sujet de cette comédie. j'aurais voulu faire voir qu'elle 
se tient partout dans les bornes de la satire honnête et permise ; que les 
plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mauvais 
singes qui méritent d'être bernés ; que ces vicieuses imitations de ce 
qu'il y a de plus parfait ont été de tout temps la matière de la comédie, 
et que, par la même raison que les véritables savants et les vrais braves 
ne se sont point encore avisés de s'offenser du Docteur de la comédie, 
et du Capitan, non plus que les juges, les princes et les rois de voir 
Trivelin (2), ou quelque autre, sur le théâtre, faire ridiculement le juge, 
le prince, ou le roi ; aussi les véritables précieuses auraient tort de se 
piquer lorsqu'on joue les ridicules qui les imitent mal. Mais enfin, 
comme j'ai dit, on ne me laisse pas le temps de respirer, et M. de 
Luynes (3) veut m'aller faire relier de ce pas : à la bonne heure, puisque 
Dieu l'a voulu. 
----------- (1) Molière fait allusion à ce proverbe : "Elle est belle à la 
chandelle, mais le grand jour gâte tout." ----------- (2) Le "Docteur", le 
"Capitan" et "Trivelin", étaient trois personnages ou caractères 
appartenant à la farce italienne. ----------- (3) Ce de Luynes était un 
libraire qui avait sa boutique dans la galerie du Palais. ----------- 
 
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LES PRÉCIEUSES RIDICULES 
 
Comédie (1659). 
 
PERSONNAGES ACTEURS 
La Grange, La Grange. Du Croisy, amants rebutés. Du Croisy. 
Gorgibus, bon bourgeois. L'Espy. Madelon, fille de Gorgibus, Mlle De 
Brie. Cathos, nièce de Gorgibus, précieuses ridicules. Mlle Du Parc. 
Marotte, servante des précieuses ridicules. Madel. Béjart. Almanzor, 
laquais des précieuses ridicules. De Brie. Le Marquis de Mascarille, 
valet de la Grange. Molière. Le Vicomte de Jodelet, valet de du Croisy. 
Brécourt. Deux porteurs de chaise. Voisines. Violons.
La scène à Paris, dans la maison de Gorgibus. 
SCÈNE PREMIÈRE. - La Grange, Du Croisy. 
- Du Croisy - 
Seigneur la Grange... 
- La Grange - 
Quoi ? 
- Du Croisy - 
Regardez-moi un peu sans rire. 
- La Grange - 
Eh bien ? 
- Du Croisy - 
Que dites-vous de notre visite ? En êtes-vous fort satisfait ? 
- La Grange - 
A votre avis, avons-nous sujet de l'être tous deux ? 
- Du Croisy - 
Pas tout à fait, à dire vrai. 
- La Grange - 
Pour moi, je vous avoue que j'en suis tout scandalisé. A-t-on jamais vu, 
dites-moi, deux pecques (1) provinciales faire plus les renchéries que 
celles-là, et deux hommes traités avec plus de mépris que nous ? A 
peine ont-elles pu se résoudre à nous faire donner des sièges. Je n'ai 
jamais vu tant parler à l'oreille qu'elles ont fait entre elles, tant baîller, 
tant se frotter les yeux, et demander tant de fois : Quelle heure est-il ? 
Ont-elles répondu que Oui et Non à tout ce que nous avons pu leur dire ? 
Et ne m'avouerez-vous pas enfin que, quand nous aurions été les 
dernières personnes du monde, on ne pouvait nous faire pis qu'elles ont 
fait ? 
- Du Croisy - 
Il me semble que vous prenez la chose fort à coeur. 
- La Grange - 
Sans doute, je l'y prends, et de telle façon, que je me veux venger de 
cette impertinence. Je connais ce qui nous a fait mépriser. L'air 
précieux n'a pas seulement infecté Paris, il s'est aussi répandu dans les 
provinces, et nos donzelles ridicules en ont humé leur bonne part. En 
un mot, c'est un ambigu (2) de précieuse et de coquette que leur 
personne. Je vois ce qu'il faut être pour en être bien reçu ; et, si vous 
m'en croyez, nous leur jouerons tous deux une pièce qui leur fera voir
leur sottise, et pourra leur apprendre à connaître un peu mieux leur 
monde. 
- Du Croisy - 
Et comment, encore ? 
- La Grange - 
J'ai un certain valet, nommé Mascarille, qui passe au sentiment de 
beaucoup de gens, pour une manière de bel esprit, car il n't a rien de 
meilleur marché que le bel esprit maintenant. C'est un extravagant qui 
s'est mis en tête de vouloir faire l'homme de condition. Il se pique 
ordinairement de galanterie et de vers, et dédaigne les autres valets, 
jusqu'à les appeler brutaux. 
- Du Croisy - 
Eh bien ! qu'en prétendez-vous faire ? 
- La Grange - 
Ce que j'en prétends faire ? Il faut... Mais sortons d'ici auparavant. 
----------- 
SCÈNE II. - Gorgibus (3), Du Croisy, La Grange. 
- Gorgibus - 
Eh bien ! vous avez vu ma nièce et ma fille ? Les affaires iront-elles 
bien ? Quel est le résultat de cette visite    
    
		
	
	
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