enfants, deux fils et une fille. Sa fortune était des plus médiocres. Il 
vivait dans le Soissonnais, très-retiré du monde, du produit d'une ferme 
qui ne devait guère donner que 100,000 francs à chacun de ses enfants. 
La fille était mariée à un procureur impérial; le fils aîné, depuis un an 
sorti du collège, ne voulait rien faire, sous prétexte qu'il faisait des vers; 
le plus jeune se disait bon à tout: au journalisme, à la diplomatie, à 
l'épée, à la robe. Aussi il y avait tout à parier contre un que Georges du 
Quesnoy n'arriverait à rien. 
Il devait, après la saison, partir pour Paris, le grand dévoreur d'hommes; 
Paris qui engloutit mille ambitieux pour faire un nain. En attendant ce 
rude combat, il vivait d'insouciance, amoureux de l'aube et du 
crépuscule, du rayon qui descend et du bruit qui s'élève, confiant ses 
rêves aux nuages, à la forêt et aux fontaines. 
Ce soir-là on respirait l'amère senteur des fèves qui enivre quelques-uns 
jusqu'à la folie. Le moissonneur s'attardait dans les bois, au parfum des 
fraises déjà mûres. L'écolière s'amusait, au retour de l'école, à souffler, 
de ses lèvres virginales, le plantain en fleur qui semblait chevelu et 
poudré comme un marquis. L'écolier admirait la délicatesse 
architecturale des chardons; il cueillait le pissenlit hérissé, il se 
hasardait à sucer le suc de l'ortie, l'ortie dont il comparait la gueule 
blanche au rabat du prêtre. Tout était joie et fête en ce beau soir. La 
terre chantait son hymne à Dieu par la voix des hommes, des forêts, des 
moissons et des oiseaux. Il n'est pas jusqu'au champ de pommes de 
terre qui ne livrât au vent l'odeur plébéienne de ses vertes ramures, 
étoilées çà et là de ces humbles fleurs dédaignées que nulle main 
blanche n'a cueillies et que nulle muse n'a chantées.--Je vous salue, ô 
pommes de terre, vertes espérances des Spartiates futurs! 
Georges, après avoir côtoyé une haie de sureaux et d'aubépines où le 
liseron suspendait ses clochettes blanches et roses, s'arrêta 
soudainement à la grille d'un parc touffu qui cachait à demi la façade
Louis XVI du château de Margival, dont le parc était surnommé, on ne 
sait pas bien pourquoi, le Parc aux Grives, peut-être parce que la vigne 
grimpait sur tous les arbres et que les grives y venaient en belles 
compagnies au temps de la vendange. 
Le château de Margival est un des plus jolis du Soissonnais; un peu 
moins, ce serait une simple villa, mais, un peu plus, ce serait un château 
princier, tant l'architecte a bien marqué le style dans cette oeuvre en 
pierre de la fin du XVIIIe siècle. 
Dans ce château souvent abandonné, M. de Margival amenait tous les 
ans sa fille Valentine, qui était encore au Sacré-Coeur. Mais comme 
c'était déjà une vraie demoiselle, on quittait Paris avant les vacances, 
pour passer trois à quatre mois dans cette belle solitude. 
M. de Margival s'y trouvait bien, en souvenir de sa femme qu'il avait 
adorée et qui était morte jeune. 
Le pays où on a été malheureux de son bonheur est toujours un pays 
d'élection. 
Mlle de Margival ne s'y trouvait pas mal, quoiqu'elle fût peu éprise de 
la solitude. 
Ce n'était pas la première fois que Georges du Quesnoy venait se 
promener aux alentours de Margival. Son père habitait à trois quarts de 
lieue; au petit village de Landouzy-les-Vignes, dans une simple maison 
de campagne, appelée par la maison bourgeoise, petite cour avec 
pavillons, un arpent de jardin par derrière, où l'on veut jouer au parc 
tout en ménageant un potager. 
Il aimait le château de Margival. Quoiqu'il ne fût pas poëte comme son 
frère, il avait déjà un vague sentiment de l'art: aussi était-il dans 
l'enthousiasme devant cette façade. 
«Ah! s'écria-t-il tristement, si mon père habitait un pareil château, je 
voudrais y vivre et y mourir sans m'inquiéter des pommes d'or des 
Hespérides! Ne peut-on trouver ici mieux qu'à Paris les joies du coeur,
les fêtes du ciel et de la nature? 
Il avait mis pied à terre pour appuyer son front brûlant sur la grille. Il 
eût donné quelques beaux jours de sa vie pour pouvoir fouler en toute 
liberté l'herbe du parc. «Ainsi doit être la vie, pensa le jeune philosophe: 
des tentations qui vous montrent leur sein nu, mais qui vous défendent 
d'approcher.» 
A cet instant il vit apparaître, comme dans un songe, une jeune fille 
vêtue d'une robe blanche, qui débusquait d'une avenue de tilleuls et 
venait vers la grille d'un air recueilli. Elle avait vingt ans. Elle était 
belle comme si elle fût sortie des mains du Corrège; elle était pure 
comme si elle fût sortie des mains de Dieu. Praxitèle, qui n'a jamais 
trouvé son idéal, se fût incliné devant elle. 
Quoiqu'elle semblât méditer profondément, elle s'arrêta tout à coup 
devant un papillon    
    
		
	
	
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