entaillant le granit de ses armes, Rougissant les
déserts de mille pieds sanglants. ....................... Une mer apparut, aux
hurlements sauvages.... Et cette mer semblait la gardienne des mondes
Défendus aux vivants, d'où nul n'est revenu; Mais, l'âme par delà
l'horizon morne et nu, De mille et mille troncs couvrant les noires
ondes, La foule des Kimris vogua vers l'inconnu[13].
[Note 13: Le Massacre de Mona.]
Arrivés au terme de leur énergique pèlerinage, ils eurent à lutter contre
une nature rude et pauvre de soleil, dont l'inhumanité les condamnait à
l'action violente, tandis que ses aspects les inclinaient aux rêves vagues
et brumeux. Aussi éloignés de la sérénité grecque que de l'inertie
orientale, leur activité est aventureuse et farouche, leur mythologie
féroce et obscure, leur tristesse noire, mais cramponnée à la vie. Et
cette vie n'est que massacres, expéditions de pirates, combats obstinés
contre les éléments et contre les hommes, furieuses orgies avec de
sombres retours sur soi et des mélancolies confuses. Mais le plaisir
qu'ils prennent au déploiement des forces brutales et leur intelligence
bornée les préservent des désespoirs métaphysiques. Ce que sont les
passions chez ces hommes, M. Leconte de Lisle nous le dit dans la
Mort de Sigurd, l'Épée d'Angantyr, le Coeur d'Hialmar, etc. Il dit leur
fierté, leurs morts silencieuses, les chants de leurs bardes, leurs fêtes,
leurs mystérieuses assemblées, leur attente d'un paradis guerrier,
sensuel et grave. La Légende des Nornes déploie leur théogonie bizarre
et grandiose: la naissance d'Ymer et des géants, qui sont les puissances
mauvaises; la naissance des dieux bienfaisants, des Ases, qui domptent
Ymer et de son corps forment l'univers; le rouge déluge que fait son
sang; l'apparition du premier couple humain; Loki, le dernier-né
d'Ymer, et le Serpent, et le Loup Fenris et tous les dieux du Mal
vaincus par les Ases bienheureux; la venue du jeune dieu Balder; puis
la suprême révolte de Loki, du Serpent, de Fenris et des Nains, et la fin
misérable du monde.--La pensée de l'au delà hantait ces hommes du
Nord dans l'intervalle des tueries: ils étaient tout prêts pour le
christianisme et devaient le prendre terriblement au sérieux. On se
rappelle le discours d'un chef saxon à ses compagnons d'armes, dans
Augustin Thierry. Seuls, les prêtres et les bardes, soit orgueil sacerdotal,
soit qu'ils subissent la fascination de leurs propres théogonies ou que
leurs dieux désertés leur deviennent plus chers, résistent au dieu
nouveau. Le vieux barde de Temrah se tue sous les yeux du beau jeune
homme inspiré qui, tour à tour, lui parle divinement du Christ et le
menace sauvagement de l'enfer[14]; et les prêtres et les vierges se
laissent massacrer en chantant par le chef chrétien Murdoch, un
farouche apôtre[15].
[Note 14: Le Barde de Temrah.]
[Note 15: Le Massacre de Monah.]
Les nouveaux convertis au Christ, Saxons, Germains, Gaulois, n'ont
point dépouillé leurs moeurs barbares ni leur facilité à tuer et à mourir.
Sans doute, ils ne sont point fermés à la douceur de Jésus; on les fera
pleurer en leur contant la Passion. Mais leur foi les rend impitoyables,
et leur charité est d'une espèce étrange et s'exerce surtout en vue de
l'autre monde. Attachés à la terre par leur corps robuste plein de désirs
grossiers, ils n'en sont pas moins obsédés par la pensée de l'invisible,
par le désir de la cité d'en haut; ils ne la conçoivent pas d'ailleurs d'une
façon beaucoup plus raffinée que leurs aïeux ne faisaient le paradis
d'Odin.--Les Indous, émus par la souffrance universelle, pratiquaient
une charité purement terrestre, épanchaient sur leurs frères une
immense pitié; on ne peut dire qu'ils aient sacrifié cette vie à une vie
future, puisque ce qu'ils attendaient de la mort ou de l'extase, c'était
l'anéantissement de la personnalité. Quant aux Grecs, ils s'occupaient
médiocrement de l'avenir de l'homme par delà la tombe et pensaient
que cette vie peut être à elle-même son propre but. Mais l'homme du
moyen âge, si fort qu'il mange et qu'il boive, qu'il bataille et qu'il pille,
subordonne pourtant cette existence, où sa lourde chair s'enfonce, à
l'idée plus ou moins présente, mais rarement effacée, du ciel et de
l'enfer. Aussi, même chez les meilleurs, si la charité vient des entrailles,
toujours il s'y mêle une arrière-pensée surnaturelle. S'ils aiment et
secourent les hommes, ce n'est point parce qu'ils sont des hommes, tout
simplement, c'est qu'ils voient en eux des âmes appelées au salut éternel
et qu'en s'occupant de ces âmes ils assureront leur propre salut. Au fond,
ce n'est point de l'enveloppe charnelle de leurs frères qu'ils ont
souci.--Terrible charité que celle de la bonne dame de Meaux! Elle a
nourri tant qu'elle a pu son armée de pauvres; quand elle n'a plus rien à
leur donner, elle leur donne le ciel.
Il fallait en finir. La dame résolut De délivrer les siens en faisant

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